Rencontre avec Perrine Boutin à propos de l’atelier Le Portrait

« Un film réussi, c’est un film où on sent le collectif »

Photo Perrine Paysage
Perrine Boutin, docteur en cinéma et audiovisuel, enseignante de l'atelier "Le Portrait"

Cet entretien a été mené le vendredi 18 novembre 2022. 

Les propos de Perrine Boutin sont en gras et en italique.

Si l’objectif final est commun aux cinq ateliers – faire un film avec les contraintes que sont une durée et un thème donné – l’approche de chaque enseignant.e au sein de son TD reste unique. Nous abordons pour commencer cet entretien peut-être justement par une spécificité de l’atelier encadré par Perrine Boutin : l’importance que celle-ci accorde au collectif.

Je considère qu’ils sont tous réalisateurs, je le leur dis et ils jouent bien le jeu. Ils se sont réunis pour écrire le scénario ensemble, pour que celui qui a initié le projet se sente en groupe et que les autres prennent part aussi au projet depuis la base. Ce qui est super c’est qu’ils ont bien joué le collectif dans les quatre groupes cette année.

Pour l’enseignante, c’est ce maintien du collectif jusqu’au bout qui permet un film réussi. J’insiste beaucoup là-dessus à chaque séance. On prend toujours un quart d’heure au début du cours où on travaille ensemble pour réfléchir et discuter où chacun.e en est. Un film réussi, c’est un film où on sent ce collectif-là, cette écoute dans le groupe, mais aussi entre groupes dans l’atelier. Ce n’est pas forcément des beaux films, mais des films réussis où on sent une joie du travail ensemble.

Perrine nous explique ensuite le déroulement du travail dans son atelier ainsi que les différentes étapes de création que traversent ses étudiants.es. Dès le deuxième cours je leur demande de présenter des projets, j’insiste pour que tout le monde présente quelque chose. J’aime bien que ce soit des idées spontanées et pas forcément très réfléchies. Je leur demande d’apporter des extraits de films ou des images qui expliquent leurs inspirations, leurs envies, leur projet. La plupart me propose des choses très travaillées, je suis toujours impressionnée !

Cette année douze projets ont été proposés, moins que les années précédentes. Tou·te·s les étudiant·es inscrit·es n’aspiraient pas tou·te·s à cette veine de leader·euse, cette envie de proposer un projet comme point de départ d’un travail collectif. Je ne force pas non plus un.e étudiant.e à présenter un projet s’iel ne veut pas, ce qui était le cas de pas mal d’entre elleux cette année, j’étais un peu étonnée.

Vient ensuite le vote qui détermine les quatre projets qui seront réalisés au sein de l’atelier. Les étudiants.es en sont maintenant, fin novembre, à l’étape du scénario. Iels ont tous fait un drive partagé, iels sont hyper sérieux. Il y a même un groupe qui a déjà lancé un crowd founding ! Ce que font les étudiant·es est toujours une surprise, je suis toujours impressionnée chaque année alors que ça fait dix ans maintenant. Je suis impressionnée par le sérieux, le professionnalisme, l’entrain, la motivation, les idées… C’est incroyable, il y a même un projet cette année de film burlesque filmé à l’ancienne, Le Voleur Volé ! Je suis sûre qu’ils vont y arriver. Mes attentes sont toujours largement dépassées par rapport à ce que font les étudiant.e·s.

Bien sûr tous les projets énoncés et pitchés ne peuvent pas être retenus. C’est toujours un moment un peu douloureux pour celles et ceux qui avaient vraiment envie de faire leur projet, mais je fais en sorte d’amoindrir cela. C’est formateur et iels gardent leur motivation, c’est toujours sympa de participer à un film. C’est quand même génial comme expérience et ils le font à fond, de manière très professionnelle.

A ce stade de l’entretien, nous ne pouvons pas nous empêcher de poser la question : et si un film ne se fait pas ? Perrine nous raconte son expérience par rapport à cette situation. C’est arrivé une année qu’un groupe foire complètement… Ça crée dans l’atelier un malaise, on sentait assez rapidement que ça ne marcherait pas. Le film n’a pas été tourné. C’est décevant et en termes d’évaluation c’est compliqué.

En effet, même si ces ateliers de réalisation apportent une expérience pratique dans le cadre de la licence plutôt théorique, ils s’inscrivent pour autant au sein d’une UE et doivent être validés par une note. Évidemment on n’évalue pas le film. Je leur demande un journal de bord collectif : un document basique tapé sur word ou bien filmé, un blog… J’ai souvent – et j’adore ! – des vrais carnets avec des idées où ils collent des photos, ils écrivent à la main, ils dessinent un peu le story-board… Ça c’est génial. Quelqu’un·e dans le groupe est en charge de ce journal, iel s’autodésigne au sein des groupes. Je leur demande également un compte rendu individuel. Cela leur permet d’être libre de dire ce qui s’est bien passé ou non selon leur point de vue. Pour le groupe où le film ne s’était pas fait, c’était intéressant de lire ces comptes-rendus. Iels avaient assez bien analysé les raisons de l’échec, donc finalement je n’avais pas mis une mauvaise note.

Pour les étudiants.es, ces ateliers sont l’opportunité de se projeter dans des métiers du cinéma qu’iels ne soupçonnent parfois pas. Il arrive en effet que certain·es viennent à la fac pour être universitaire et se découvrent finalement réalisateur·rice, et inversement. Perrine nous confirme que participer au festival professionnalise énormément si l’on souhaite travailler dans le milieu du cinéma. Et cela que ce soit du côté de la réalisation tout comme celui de l’organisation, le festival étant d’ailleurs organisé par une association et les étudiants.es elleux-mêmes. Selon elle, cela crée une dynamique particulière et une énergie d’une beauté rare. Il arrive que beaucoup lui confient : « Je croyais que c’était le système D parce qu’on est à la fac et étudiants.es, mais en fait c’est comme ça dans la vraie vie aussi. ». Oui, sur les tournages c’est aussi le système D, avec un peu de moyens bien sûr, une prod’, une cantine… mais à une autre échelle c’est la même chose en effet. Plusieurs films ont d’ailleurs une vie suite au festival. Certain·es me donnent des nouvelles et cela me fait toujours plaisir. Je vois qu’il y en a où cela a vraiment été un tremplin pour elleux, c’est super car c’est le but aussi !

Nous terminons notre échange en évoquant le festival de l’année passée, les projections et la cérémonie de remise des prix. Perrine témoigne de son engouement : Je n’avais jamais vu ça ! Honnêtement c’était hallucinant. L’année dernière c’était à notre échelle, avec une ingéniosité, une envie, un truc drôle et léger qui ne se la raconte pas, c’était génial. Je crois qu’il y avait une vraie envie après deux ans à distance. Il y a trois ans, le confinement avait été annoncé la veille et le festival annulé le jour même. La Présidente de l’époque était là, sur le parvis, avec les petits fours sur les bras… c’était horrible.

Une envie particulière qui se retrouve dans le thème choisi cette année : En-Vie. J’aime beaucoup ce thème, j’ai trouvé que c’était très beau et bien choisi. C’est la première année où les enseignant·es ne partagent pas du tout la conception du thème, mais j’ai trouvé ce thème surprise super. Ça marche bien avec le contexte, on est dans une espèce de retour à la vie soit-disant “normale”, et à la fois on est quand même post-covid, un peu traumat’… Et puis la quinzième édition, c’est l’adolescence, c’est être en vie, et tout le dynamisme que ça génère.

Et qu’en est-il de son propre thème d’atelier ?

Bon c’est vrai que j’ai fait exprès de faire un thème large avec la question du portrait : je voulais que les étudiant·es puissent s’intéresser à l’Autre de façon large… L’entretien filmé c’est hyper contraignant, on ne fait pas ce qu’on veut. Intégrer cinq musiques, le docu-menteur… c’est contraignant. La question du portrait est une question que j’aime beaucoup. Avant on avait un cours théorique mêlé à un cours pratique : ceux qui s’inscrivaient à l’atelier Objectif Censier devaient suivre le cours théorique en esthétique en lien avec l’atelier choisi. Je faisais un cours sur le portrait au cinéma, je me faisais plaisir en fait ! Maintenant, je fais mon cours en un quart d’heure au deuxième cours en montrant deux courts-métrages quand j’ai le temps.

Sur ce, Pascal-Alex Vincent nous rejoint pour sa propre interview. Nous libérons Perrine Boutin, impatients.es d’écouter les pitchs de ses étudiants.es et surtout de découvrir si un ou plusieurs de ces quatre projets sur le portrait se retrouvera au palmarès…

Pour découvrir les films réalisés dans le cadre de cet atelier, rendez-vous les 12 et 13 avril pour la 15ème édition du Festival Objectif Censier !

Un entretien mené par Manon Hardy.