Rencontre avec Barbara Noiret à propos de l’atelier Tristes Tropiques

« C'est ça faire du cinéma, c’est comment on se crée des souvenirs. »

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Barbara Noiret, réalisatrice, scénographe et enseignante de l'atelier "Tristes Tropiques"

Cet entretien a été mené le vendredi 25 novembre 2022.

Objectif Censier : Avez-vous des attentes particulières envers les étudiants cette année ?

Barbara Noiret : J’ai des attentes oui. Je ne veux pas qu’ils perdent de vue le thème de mon atelier qui est l’écologie. Tristes tropiques c’est le roman de Lévi-Strauss qui parle à la fois des progrès et des effets dévastateurs qu’une société commet sur son environnement. On est à un moment crucial déjà depuis quelques années, mais ça s’intensifie de plus en plus. Je veux que quand ils formulent leurs films, ils n’oublient pas cette thématique. Ça leur demande une recherche assez approfondie. Après ce sont des exigences de travail, d’échéances et de rendus.

Où en sont les étudiants dans leurs pitchs et projets ?

Au début il devait y avoir un super pitch qui devait se passer au museum d’histoire naturelle, qui est un des lieux partenaires de mon atelier. Mais la personne qui s’occupe des tournages est partie, donc c’est compliqué parce qu’un tournage au museum d’histoire naturelle c’est 10 000 € la journée… Ce pitch là a donc été mis de côté direct alors que c’était vraiment génial. D’autres sont plutôt partis dans un travail fictionnel assez intéressant. Il y a des tournages qui se feront en province, dans des forêts, à la campagne… Donc on va voyager ! Une année on était même partis en Guyane.

Comment se forment les groupes de travail au sein de votre atelier ?

Je les laisse assez libres. Parfois il y a des affinités entre eux et ils souhaitent faire des films ensemble, parfois ils ne se connaissent pas forcément tous. Ça va plutôt être les problématiques des pitchs qui vont faire des croisements qui vont former une nouvelle équipe. Souvent ils font des équipes assez simplement, ça se fait naturellement.

Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans l’encadrement de votre atelier ?

Ce que j’apprécie particulièrement c’est l’ambiance qui est créée lors de la restitution des films, l’engouement de la part des étudiants, de la part de l’équipe, l’humour… c’est important. Ce sont des périodes compliquées pour tout le monde et on a besoin de ça !

Que pensez-vous du thème de cette année : En-Vie ? 

Le thème de cette année permet de mettre un peu de bonne humeur et de joie pendant cette période compliquée. C’est aussi de crier le fait qu’on soit en vie, qu’on soit encore vivants ! Être en vie aujourd’hui c’est aussi faire des choses, militer. C’est aussi comment on est en paix avec soi-même, sur terre… qu’est-ce qu’on déploie pour exister et pour faire exister les autres.

En effet, il y a un aspect militant autour de l’écologie dans le sujet de votre atelier. Comment cela prend forme dans les projets des étudiant.es

Je n’exige pas ça [le militantisme] de mes étudiant.es. Mais c’est effectivement un écho qui est envisageable pour eux. Mais ils traitent le sujet d’une manière complètement libre. Je ne leur dis pas : “Voilà, votre film doit être militant”. Après, quand je vois qu’ils s’engagent dans cette partie là, je leur donne des clefs : “Allez voir telle personne ou tel sujet”, parce que l’écologie je connais bien les personnes, les courants, les assos, les enjeux…

C’est quoi pour vous un film qui parle d’écologie réussie ?

L’humour. J’ai remarqué que ceux qui marchent bien, soit ils sont hyper engagés, soit l’engagement se fait aussi par le détournement par l’humour. Ça marque les esprits en fait. C’est un axe, ou c’est drôle ou c’est très engagé. Mais ça ne peut pas être en demi-teinte quand on fait un travail sur l’écologie.

Vous attendez donc une proposition artistique forte de la part des étudiant.es.

Tout dépend des sujets de chacun.e. Dans un des pitchs par exemple, c’est très plastique. D’ailleurs je vais leur donner comme référence les films de Peter Greenaway qui traite d’une manière très plastique les scènes qu’il propose. Tout se fait dans la plasticité, en gros plan, les couleurs, comment rendre compte d’une matière… C’est un gros travail à faire, l’enjeu est là. Après il n’y a pas de règles, c’est vraiment selon chaque projet.

Ce sujet de l’écologie résonne comme une évidence pour vous.

Aujourd’hui, il n’y a pas plus important. Car c’est ce qui définit notre avenir, nos vies. Sans ça, tout le reste ne peut pas se faire, donc il y a une évidence. Il faut arrêter de la contourner, il faut la prendre de front.

Qu’en est-il du système de notation au sein de votre atelier ?

J’ai mis en place un système de notation. C’est sur 100. Il y a 20 points sur l’investissement personnel de l’étudiant.e (ponctualité, présence, implication dans les séances de travail, participation aux discussions), sur la recherche thématique, théorique et plastique il y a 20 aussi (qualité de présentation, documentation, pertinence des propositions,…), l’originalité et l’imagination 20 aussi, la force de proposition 15, la prise de risque (pour moi c’est aussi un vecteur très important), la méthodologie, l’organisation sur 15, la mise en œuvre des moyens étudiants sur 10. La note finale prend en compte tous ces critères.

Et la compétition du festival dans tout ça ?

C’est un moment de cinéma et de joie. C’est le partage qui s’est fait au moment des tournages, ce sont les réflexions, c’est l’évolution aussi qui a pu se faire. Tant mieux si certain.es ont des prix, mais ce qui m’importe c’est que les étudiant.es aient de la joie à faire leurs projets, qu’ils aient eu une forte envie, que ca leur ait procuré quelque chose de fort. Une expérience qui j’espère leur sera profitable et dont ils vont se souvenir. C’est ça faire du cinéma, c’est comment on se crée des souvenirs.

Suivez-vous le parcours de vos étudiant.es ou des projets réalisés après le festival ?

Je ne fais pas ce travail d’accompagner l’après, mais je suis très à l’écoute. Par exemple, j’avais vu sur internet une offre pour accompagner un tournage à l’étranger que j’avais diffusée à mes étudiant.es. Un étudiant m’avait fait un retour : il était parti une semaine et ça s’était super bien passé, il était très content de cette expérience. J’étais heureuse que ce petit truc que j’avais vu sur internet, certain.es se le soient approprié et que ça ait été une vraie expérience pour eux. Sinon j’ai des ancien.nes étudiant.es que j’ai pris en stage dans le cadre de mes films. Notamment Maina, c’était il y a trois ans maintenant, elle a travaillé avec moi un peu plus d’un an et demi sur mon film, et maintenant elle est dans une école de cinéma documentaire animalier. Je la suis, elle a fait un film qui est montré dans les festivals. Je suis très fière d’elle.

Si vous pouviez donner 3 films à voir sur le thème de l’atelier, quels seraient-ils ? Qu’est-ce que la pensée d’un film écologiste ?

C’est plus vaste que ça. Plutôt que de leur montrer des choses, je préfère qu’ils aillent eux-mêmes ouvrir leur univers, leur imaginaire. Une fois qu’ils ont développé leur idée, je leur donne des propositions de référence. Je peux leur montrer des petits extraits, comme ce film sur l’histoire du voyage d’un sac plastique, du moment où il est jeté au moment où il arrive dans la mer – parce qu’un sac plastique dans la nature finit forcément dans un cours d’eau puis dans la mer. C’était une manière assez poétique d’aborder l’écologie. Mais ça peut être aussi des films très militants, je pense à Demain ou à plusieurs films de Cyril Dion. Il y a Into the wild aussi qui parle de l’absurdité humaine, d’aller chercher quelque chose de pur dans la nature. Il y a plein d’accès. Bon du coup j’ai cité trois films !

Pour découvrir les films réalisés dans le cadre de cet atelier, rendez-vous les 12 et 13 avril pour la 15ème édition du Festival Objectif Censier !

Un entretien mené par Pierre Rogier et retranscrit par Manon Hardy.