Rencontre avec Matthias Steinle à propos de l’atelier Le Documenteur

« Le documenteur donne l'illusion d'un documentaire, mais en étant une fiction »

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Matthias Steinle, enseignant-chercheur et responsable de l'atelier "Tristes Tropiques"

Cet entretien a été mené le vendredi 18 novembre 2022.

Cette année étant la quinzième édition du festival Objectif Censier, avez-vous des attentes particulières ?

Matthias Steinle : J’espère que ça sera comme l’année dernière et les dernières années où c’était toujours un grand moment dans la vie du département. C’est aussi la fête où on peut découvrir tous les films qui ont été réalisés. L’équipe organise le festival fait toujours un très bon travail, alors je leur  rends hommage, parce que ça aussi c’est une spécificité, que c’est organisé par des étudiants pour les étudiants. L’année dernière, c’était à nouveau possible de voir les films en salle et c’était vraiment un grand moment et je pense que tout le monde était enthousiasmé.

Que pensez-vous du thème En-Vie choisi cette année ?

MS : Ça donne vraiment envie et ça a l’avantage d’être assez large pour que les étudiants qui ont déjà la contrainte de chaque atelier puissent bien s’intégrer dans ce thème. 

Vos attentes envers les étudiant.es sont-elles différentes d’une année sur l’autre ?

MS : Non parce que en fait, c’est aussi pour eux qu’on organise ces ateliers et donc ce sont leurs films. C’est à eux de s’engager et de réaliser ce qu’ils veulent. Nous on est là pour les accompagner et aussi ça reste dans le cadre de l’enseignement, donc c’est aussi professionnalisant. J’insiste pour que tous les dossiers soient rendus au moment fatidique parce que dans la vraie vie, si on n’a pas son dossier à temps, on n’aura pas la subvention. Je pense que ça aussi c’est quelque chose qu’il faut apprendre.

Est-ce que vous communiquez entre  professeurs sur l’avancement de vos étudiants au sein de vos TD respectifs ?

MS : Oui , on se plaint, on se console haha 🙂 Non, au début on avait 2h, mais malheureusement, après on l’a réduit à 1 heure et demie, ce qui est trop court. En plus, on a juste un semestre. Normalement on devrait faire ça sur l’année: un semestre pour l’écriture et un semestre pour la réalisation.  Mais bon, on a déjà ça et c’est pas mal! 

Comment avez-vous choisi vos thèmes/sujets d’ateliers?

MS : Chaque collègue décide lui-même en fonction de ce qui pourrait être productif dans la réalisation d’un court métrage. Pour moi, c´est le documenteur car le thème du documentaire  m’intrigue depuis longtemps. C’est un film qui trompe pour mieux détromper. Donc c’est beaucoup plus qu’un faux documentaire. Quand on trompe le spectateur, ce n’est pas uniquement pour se moquer de lui, mais pour aussi, dans le meilleur des cas, pour déclencher peut-être une réflexion, une prise de conscience des formes filmiques et la construction du réel avec le documentaire.

Le documenteur donne l’illusion d’un documentaire, mais en étant une fiction. On peut alors aussi détourner des images, c’est-à-dire se servir de matériel déjà existant. C’est très avantageux quand on a peu de moyens, comme c’est le cas ici.

Comment envisagez-vous la compétition entre vos TD ?

MS : Au moins en ce qui me concerne « compétition » n’est pas le bon terme. C’est plutôt un processus créatif où il faut travailler ensemble. Souvent, on se prête du matériel ou on s’entraide en cas de problèmes techniques. Cela se passe au sein du groupe, mais aussi en collaboration avec d’autres groupes et ateliers. Lors des séances de pitch, on échange sur les projets et on a aussi la possibilité de trouver de l’aide en cas de questions. C’est pourquoi je parlerais plutôt de collaboration que de compétition. 

Quels sont les clefs selon vous d’un film, d’un travail d’équipe, d’une réalisation réussie ?

MS : Déjà, comme ça se passe dans un cadre universitaire, il y a l’avantage qu’il y a beaucoup de liberté, beaucoup plus que dans le contexte professionnel. En même temps, ça veut dire aussi qu’il y a les cours à côté et c’est quand même énormément de travail, bien qu’on soit limité à cinq minutes. Donc je pense que déjà, il faut trouver un dispositif qui va avec les moyens, les moyens d’un projet plutôt no budget que low budget.  Il faut se focaliser sur ce qui reste réalisable dans le cadre des limites de temps et de budget. Mais je pense que ça, ça n’empêche pas de faire quelque chose qui tient la route.

Comment réagissez-vous quand un film ne se réalise finalement pas ?

MS : Ça fait partie de la vie. Après, ça peut ne pas marcher pour des raisons diverses. Parfois aussi, les équipes ne terminent pas à temps et le finissent après. Il y a une année où j’avais cinq projets et finalement six films parce qu’il y a eu une dispute dans un groupe. Mais dans ce cas là, ils ont “divorcé” et chacun a fait son film. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles quelque chose ne fonctionne pas comme on l’avait imaginé. Une année, il y avait eu une équipe qui avait prévu le tournage et le jour J il y avait dix centimètres de neige, donc ils n’ont pas pu partir et ils ont tourné quand même. Sauf que ça se passait à Mayotte.

Sur quels critères vous basez-vous pour noter et évaluer le travail des étudiant.es ?

MS : Les ateliers, c’est quelque chose qui est un peu particulier. Je dirais l’essentiel ce n’est pas la note, mais c’est l’engagement pour la réalisation du projet. Evidemment, on ne peut pas les noter sur le produit final qui généralement n’est pas terminé à la fin du semestre. Donc on les note sur la participation et sur un dossier qui est rendu à la fin, qui est une espèce de journal de bord dans lequel ils ont intégré tous les éléments de la réalisation du projet avec un commentaire individuel de chaque participant.e de l’atelier.

Qu’est-ce que vous aimez / qu’est-ce qui vous plaît le plus dans l’animation de ces ateliers de réalisation chaque année ?

MS : Alors les ateliers sont des cours pratiques, qui n’existent que depuis peu dans notre département. Ce que j’apprécie le plus, c’est que c’est un moment de créativité. Si j’ai un regret, c’est que souvent les étudiants ne profitent pas de cet espace de liberté et  veulent plutôt imiter les formes existantes et faire comme « les grands ». C’est bien sûr beaucoup moins intéressant que quand on essaye de créer quelque chose de complètement nouveau.

Y a-t-il une année qui vous a marqué plus que les autres ? Laquelle ? Pourquoi ?

MS : Chaque année est marquante. Évidemment il y avait des moments où ça a été particulièrement réussi ou raté. Mais les premières années, au cours desquelles nous avons également expérimenté la forme des courts et du festival, ont été particulièrement intéressantes. 

 

Le festival est né des grèves de 2009 avec la LRU parce que les étudiants avaient bloqué l’université. C’est devenu inimaginable aujourd’hui avec la politique du lock out, ce que je trouve problématique au niveau démocratique, parce que ça prive aussi les étudiants d’un espace pour  s’exprimer et  s’organiser.  

 

En 2009, des films ont donc été réalisés par des étudiants. On s’est dit « il faut faire quelque chose, et on a dit on va faire un festival ». Il y avait tellement de monde qu’on a dû déménager trois fois dans une salle plus grande et c’est ainsi que nous avons commencé le festival.

Pour découvrir les films réalisés dans le cadre de cet atelier, rendez-vous les 12 et 13 avril pour la 15ème édition du Festival Objectif Censier !

Un entretien mené et retranscrit par Emma Ihle.