L’année du documentaire : Little Girl Blue, Mona Achache (2023)

Une tradition familiale, une malédiction familiale

Durant le FEMA 2023, j’ai eu l’occasion de regarder le documentaire Little Girl Blue de Mona Achache. Alors, avant de parler du film, il faut préciser que le FEMA fait valoir la mise en avant des documentaires, car 2023 est l’année du documentaire, initiée par la SCAM, le CNC et la Cinémathèque du documentaire. Elle a été lancée par la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, durant le Fipadoc (Festival international du film documentaire) de cette année. Le FEMA diffuse donc 17 documentaires cette semaine, comme nous l’expliquait Julie Bertuccelli

Pour cette première soirée du festival (après la projection inaugurale), nous avons eu l’honneur de regarder ce documentaire qui fut diffusé auparavant à Cannes. La réalisatrice (Mona Achache) nous conte la vie de sa mère, Carole , de la même façon que cette dernière avait conté la vie de sa propre mère (Monique Lange). De ces histoires qui se répètent, la réalisatrice a obtenu une large quantité d’enregistrements photographiques, historiques, téléphoniques, vidéos et écrits. Ce travail dantesque de souvenirs est majoritairement représenté à l’image par la photographie qui crée un parcours de la vie des personnages. Plusieurs Jean, Carole ou encore Monique sont ici dans une frise chronologique tapissant la vie de la réalisatrice, comme si tout ce que ses prédécesseurs avaient vécu se retrouvait en elle. La photographie, annonce plusieurs thématiques, dès l’introduction. Les rapports au passé, aux souvenirs et à la mort sont créés par la présence du fixe photographique dans l’animé filmique. Pour faire dialoguer passé et présent, il arrive fréquemment qu’une position d’un personnage du présent fasse écho à celle d’un personnage du passé, pouvant créer une sorte de face-à-face d’un personnage avec lui-même ou bien superposer des personnages différents en quelques frames. 

Marion Cotillard apparaît après cette introduction, invitée à devenir Carole Achache le temps du film afin de reconstituer des éléments de sa vie. Elle doit écouter les enregistrements de cette dernière dans le but de pouvoir les rejouer avec d’autres personnages. Ces derniers n’étant pas le sujet principal du film, leurs visages se retrouvent cachés par le cadrage, l’action étant centrée sur Carole. Abdallah, un amant de Jean Genet, sera le seul autre personnage qui reprendra vraiment vie dans le film (Je ne suis pas certains qu’Abdallah a vraiment été joué par un autre acteur, mais je le suppose, car l’archive que l’on en voit était trop propre). Coïncidence ou non, il sera aussi un autre personnage qui se suicidera. On voit, au début du film, Cotillard ayant du mal à trouver les mots de Carole ; plus le film passe, plus elle s’imprègne des expériences de la photographe de plateau, jusqu’à réussir à donner un sublime plan séquence, où elle parle de sa vie allongée sur un lit, sans être interrompue. La réalisatrice explique aussi que durant les huit jours qui ont composé le tournage, on pouvait voir que Marion Cotillard prenait petit à petit corps avec Carole, supposant que le déroulé des séquences dans la version définitive et le tournage ont eu lieu d’une manière similaire. La meilleure interaction entre les deux personnages est le moment où Cotillard, s’exprimant avec la voix de Carole, explique que les souffrances que Mona a subies sont une sorte de continuité à celles qu’elle a elle-même vécues . Mona commence alors à faire un long câlin à Cotillard, en pleurs. Les deux Achache se réunissent et permettent aussi à Mona de faire le deuil de ce qu’elle a subi.

Tournage et réalité sont entremêlés, tout comme la fiction et le documentaire. Certaines interactions qu’ont Marion et Mona nous renverraient à un making of du film, ayant lieu entre les moments où Marion est Carole, mais ils ne sont pas directement rompus avec une autre action recréant les mouvements de Carole. L’entremélage brouille nos repères, tellement que je fus souvent incapable de déceler si Cotillard parlait directement ou si c’était un enregistrement. Le fait de ne pas avoir de frontières claires est aussi un très bon moyen de nous immerger dans la diégèse (ou non diégèse ?) créée par la réalisatrice.

La diégèse traverse les époques permettant au film de brasser un grand nombre de thématiques, dont voici un échantillon : drogue, prostitution, homosexualité, homophobie, viol, manifestations de mai 1968, émancipation féminine, etc. Ces éléments, majoritairement tirés de la vie de Carole Achache, ne sont pas à voir comme séparés, mais appartenant à un grand tout, jalonnant la vie de Carole et ayant amené à ce qui lui arrive à la fin. Leur répétition peut amener à travers les générations peut faire croire à une malédiction familiale. 

Cette malédiction n’est cependant pas que familiale. Ces dernières années, de plus en plus de femmes ont témoigné quant aux différentes histoires qu’elles ont vécues, histoires que Mona a lues et qui l’ont influencée. Le film retrace, en 1 h 30, cette fameuse malédiction, qui resurgit chez Cotillard et qui se clôt sur celle-ci qui dépose les habits et effets de Carole ; comme si c’était bon, qu’elle avait pu s’incarner avant d’enfin « disparaitre » et peut-être qu’avec sa disparition, la malédiction disparaîtra aussi. Cependant, Carole continuera d’exister à travers le film, mais le film permettra certainement de supprimer la malédiction.

Little Girl Blue sortira en salle le 1er novembre 2023.

Un article écrit par Aodren Roth.