La soirée d’ouverture du FEMA : Le Règne Animal, Thomas Cailley (2023)

Une ouverture en beauté !

Les quelques gouttes qui tombaient sur le parebrise, et bientôt sur nos têtes, ne nous ont pas empêchées d’arpenter les pavés rochelois menant jusqu’à La Coursive, afin d’assister à la projection d’ouverture du 51e Festival La Rochelle Cinéma (FEMA). C’est avec de l’émotion que nous nous rendons cette année à ce festival qui a été le premier couvert par l’association et cela, grâce au soutien de son équipe, que j’aimerais donc remercier. Première ou nouvelle expérience selon les membres du groupe que nous composons sur place, difficile de faire des choix parmi le large panel de films à voir : hommages, rétrospectives, ciné-concerts, projections jeune public, avants-premières, séances adaptées au public, films d’ateliers ; longs et courts ; fiction, documentaire et fiction-documentaire ; animation, prise de vue réelle ou mélange des deux, … et ce pour plus de 200 films projetés. 

 

Avoir nous-même organisé un festival a rendu cette première projection, avant les 300 autres à venir, un peu spéciale ; un moment pour se remémorer nos événements, pour admirer ce travail réalisé, ou encore de voir dans leurs postes, ami stagiaire ou ancienne membre de notre jury. Les discours traditionnels d’ouverture d’événement ont laissé place à un message politique, un soutien. Ce dernier était notamment adressé au Festival International du Court-Métrage de Clermont Ferrand, et à tous les autres champs de la culture qui sont victimes des baisses de moyens alloués dans certaines régions françaises. Arnaud Dumatin et Sophie Mirouze, co-délégués généraux du festival, ont rappelé l’importance du soutien des lieux d’implantations de ces actions et des possibles dégâts quand les financements ne suivent plus. 


Si les discours, les présentations d’artistes amené.es à monter sur scène, ou encore les bandes-annonces ont animé cette soirée, c’est autour du nouveau long-métrage de Thomas Cailley, Le Règne Animal (2023), que nous étions réunis dans la Grande Salle de La Coursive, scène nationale de La Rochelle. Les larmes du réalisateur en évoquant l’expérience de son tournage, ses rencontres et la perspective de voir chacun.e évoluer prévoyaient de grandes émotions qui ne furent cependant qu’infimes face au bouleversement provoqué par ce film. Laissez-nous donc vous donner un avis sur ce film.

Julie

Un film de genre français en ouverture du festival, ma curiosité a tout de suite été piquée !

Une histoire de famille qui pourrait être bien classique, un jeune en crise d’ado, un père qui cherche à soutenir sa femme dans une phase difficile… si ce n’est que cette mère fait partie des humains affectés par un mal bien étrange. Petit à petit, au fil des semaines, une mutation mi-terrifiante mi-merveilleuse transforme les malades en animaux : serpent, lion, oiseau, pangolin, pieuvre, etc. Du déchirement de la famille autour de cette pathologie, on est rapidement embarqués dans une quête folle. Celle de la sécurité, car ces “créatures” sont chassées par une majorité d’humains. En quête de la mère, disparue lors de son transfert vers un centre spécialisé. En quête de son identité, le jeune homme interprété par Paul Kircher se retrouve aux prises avec les épreuves de sa propre transformation canine.

Si la plongée dans cet univers peut être un peu difficile car très rapide et directe – on découvre un homme oiseau en fuite dès les premières minutes – j’ai été très vite embarquée dans le tourbillon de cette histoire bouleversante. Une histoire de liens, qui se font et se défont, entre dissimulation des mutants et scènes de chasses haletantes, expériences lycéennes et entraînement animal en forêts, un adolescent oscille entre son animalité naissante et son humanité qui le quittera certainement. Cherchant à cohabiter avec ces deux camps de semblables qui se déchirent, il devra payer le prix de sa liberté…

Que de larmes pour cette première soirée, face à une nature portée en majesté par le jeune acteur flamboyant qu’est Paul Kircher, un Romain Duris au sommet de sa sensibilité, une Adèle Exarchopoulos en flic discrète. Le film est d’autant plus beau qu’une partie des décors est désormais disparue dans les incendies qui ont frappé la Gironde l’année passée, ajoutant une touche mélancolique au cadre de ce film où la nature parle d’elle-même.

Isaline

Puisque que nous abordons nos critiques sur les réseaux sociaux par un mot, une émotion, une opinion brève, j’aimerais évoquer le terme qui a parcouru mon esprit en sortie de séance : bouleversant. Dans son second long-métrage, le réalisateur et scénariste Thomas Cailley prend des risques avec un film qui pourrait vite ne pas nous faire adhérer à l’univers diégétique dans lequel il veut nous plonger. Et pourtant…

Le film s’ouvre sur la rencontre de trois des personnages principaux, François (Romain Duris), son fils Emile (Paul Kircher) et leur chien. Ils sont en voiture. On comprend que dans les bouchons de ce décor qui nous rappelle le périphérique parisien, le ton monte dans leur retard pour un rendez-vous commun. Alors qu’Emile fuit la voiture familiale, les particularités de ce monde dans lequel nous entrons sont abordées dans un moment de suspense. Sans commentaire ou réaction des personnages qui présume qu’elles apparaissent dans cette séquence mais plutôt qu’elles en font déjà partie. Si au premier abord il est donc étonnant de se retrouver face à des spécificités de l’ordre du fantastique chez certain.es individu.es sans contexte d’entrée progressive, les différentes scènes qui précédent le générique et le carton du titre nous permettent d’entrer en immersion et d’être, nous aussi, protagonistes du film.

Je n’ai pas été chamboulée tout de suite, et c’est peut-être ce qui m’a plu dans ce long-métrage ; de débuter sceptique et de finir conquise. Je me suis laissée charmée par de nombreux éléments. La trame narrative tout d’abord, et l’incarnation de cette famille, père et fils, aimante et aimable, dans l’essai de compréhension des différences des membres présents ou recherchés. Diverses scènes mettent en avant cette relation de façon humoristique, parfois assez réaliste aussi. Les rapports entre les personnages, notamment la présentation de TDA (troubles de l’attention), les premiers flirts, les craquages nerveux, … renforcent le fait de croire en ce qu’on voit, malgré le décor plus atypique et extraordinaire. La création de séquences drôles dans un ensemble dramatique participe à s’attacher à la quête de cette famille : retrouver leur mère ou leur femme.

J’ai aussi été happée par la bande originale, composée par Andrea Laszlo De Simone, que j’appréciais avant pour son morceau « Immensita ». L’accord de cette dernière avec la mise en scène et certains effets de caméra, comme la plongée dans un décor naturel de Gascogne créait à la fois des impressions mystiques mais des cadres et des espaces de liberté dans une nature sauvage que l’État et la justice veut peut-être trop contrôler.

Thomas Cailley racontait avoir tourné dans des espaces verts de Gironde ayant brûlé l’année dernière, après son tournage. Chanceux de voir à l’image des lieux maintenant disparus, nous le sommes aussi d’assister à cette quête des personnages dans un univers où la mort semble proche et l’acceptation de chacun.es, et des spécificités animales, pas encore tolérées pour survivre.  

Le Règne Animal fait réfléchir sur nos conditions de liberté, notre traitement de la nature, notre acceptation des normes ou des différences, et de la création d’espaces de liberté et d’expression de soi. A travers un lien père et fils fort, il me paraît impossible de ne pas succomber et d’être transporté.es. Alors un grand bravo et beaucoup d’espoir pour que la standing ovation de fin de séance ne soit que le début d’un succès amplement mérité.

Le Règne Animal sort en salle le 04 octobre 2023. En attendant la bande annonce, retrouvez une interview des deux comédiens juste ici à l’occasion de la projection cannoise du film en sélection Un Certain Regard :

Un article écrit par Julie Deschryver et Isaline Riet–Lesieur.