L’année du documentaire : Dominique Cabrera -De demain à Un Mensch

Dominique Cabrera en deux films intimes

Le FEMA, dans sa sélection à l’occasion de L’année du documentaire, a mis à l’honneur deux films intimes de la cinéaste française Dominique Cabrera ; son premier long métrage documentaire, Demain et encore demain – journal 1995 (1997), dans lequel la réalisatrice dresse un journal de son année 1995, à travers sa vie amoureuse, familiale et personnelle ; le second, Un Mensch (2023), un moyen métrage tourné durant les derniers instants de la vie de son mari Didier Motchane, en 2016, en compétition au festival Cinéma du réel (Paris) en mars-avril 2023. Cette projection fut suivie d’une rencontre avec la réalisatrice, animée par Elise Mercier, étudiante à La Fémis. 

 

Le choix de cette programmation double met en avant certaines thématiques récurrentes dans le cinéma de Dominique Cabrera, et notamment l’attention portée à la vie familiale, comme dans un autre de ses documentaires, Grandir (2013), où elle s’intéresse aux origines de sa mère. Dans Demain et encore demain – journal 1995, la récurrence des éléments de sa vie quotidienne, filmés avec une caméra à la main, permet de constater des évolutions. Tout d’abord, celles du fils qu’elle a eu avec l’artiste et économiste Jean-Pierre Sicard, Victor. En 1995, il est en CM2 et se préoccupe de son entrée au collège et des changements de vie possible selon l’établissement qu’il fréquentera. Si ce sujet donne à parler des rapports de classes et de la vie en très proche banlieue parisienne, ici Montreuil, ce sont les éléments quotidiens qui prennent le dessus. Victor évoque ce qui le préoccupe dans la vie avec sa mère, et notamment comment faire face à ses maux; durant des repas, pendant les vacances,… 

Son fils inverse parfois le regard, puisqu’il la filme. C’est un des seuls à qui elle laisse sa caméra. Si la réalisatrice apparaît aussi à l’écran à travers des reflets, en se filmant via des miroirs, elle est présente comme narratrice avec une voix-off. Sa présence à l’écran renvoie à ses mots. Elle parle de crises de boulimie et de dépression, des phases qui reviennent fréquemment pendant son année ; à ces instants, elle apparaît à l’écran, son regard également porté sur elle dans ce reflet. Le second à pouvoir la filmer, notamment en créant des champs-contre-champs, est son nouvel amant/amoureux durant cette année : Didier Motchane. Pouvoir, après avoir assisté aux débuts de sa relation avec l’ancien homme politique, découvrir certains des derniers moments de la vie de l’homme dans Un Mensch, m’a donné la sensation d’avoir traversé une partie de leur vie amoureuse, avec l’évolution de la maladie pendant ces instants filmés ; à travers des passages à l’hôpital et des retours chez lui, des discussions sur sa situation, … La réalisatrice, elle-même, évoquait le lien entre les films à propos de leur histoire, mais également de la trajectoire de sa vie.

L’utilisation d’une caméra portée à la main (pour Demain et encore demain) ou d’un téléphone (pour Un Mensch), participe à donner envie de filmer depuis chez soi. Si ce journal est un film de montage d’images qui pourraient être personnelles, il est évident que ses sujets (quotidiens et privés) peuvent pousser à capturer le présent de la même manière depuis chez soi, dans tous les foyers. Toutefois, la mise en scène et le choix de certaines scènes, détachent le film de Dominique Cabrera de simples vidéos de famille. Elle fait le choix de ne pas inclure les dimensions médicales de la fin de vie de son compagnon. Un Mensch met alors en scène des instants de discussion et de complicité ; du bonheur avant la tragédie, plutôt que les conditions de médicalisation de cet homme malade jusqu’à sa fin. Avec des qualités cinématographiques évidentes, ces deux films ont bien une dimension artistique, et ce malgré qu’ils soient composés d’images parfois branlantes mais spontanées. À propos d’Un Mensch, enfin, le film, bien qu’apparaissant aussi comme une forme de journal, met en avant les derniers instants ensemble qui semblent plutôt en apesanteur. Il laisse aussi moins de place au contre-champ; ici, Dominique Cabrera. 

Je citerais pour finir une des spectatrices de la rencontre qui demandait, enfin, à la réalisatrice si filmer les événements de la vie était un moyen de garder le passé ou de laisser s’envoler. Une question sans réponse mais qui permet de comprendre qu’un besoin, détecté et mis en scène par la réalisatrice, existe au sujet de la conservation des souvenirs et des instants ou êtres disparus. 

Quelques extraits de Demain et encore demain – journal 1995 sont à retrouver sur le site de l’INA via ces liens :

Un extrait d’Un Mensch, sélectionné par Cinéma du réel, est à retrouver ici :

Un article écrit par Isaline Riet–Lesieur.