Interview de Sean Nam (Memory)

Interview de Sean Nam - réalisateur de Memory (Objectif Censier 2023)

Dévoilant un univers entre le fantastique et le réel aux thématiques très personnelles, Sean Nam, réalisateur, revient sur son court métrage Memory, sur sa sélection en festivals et sur son prochain court. Sean a reçu le Prix du Thème lors de l’édition 2023 du festival Objectif Censier.

Philipp : Pendant le développement et le tournage du court métrage, est-ce que vous avez pensé dès ce moment-là à l’envoyer en festival ?

Sean : On l’a vraiment écrit et tourné pour Objectif Censier. Quand il a été terminé, je ne pensais pas l’envoyer à des festivals parce que ça a des coûts financiers importants et, comme il faisait 5 minutes 40 et qu’on n’avait pas eu une production incroyable, je m’étais dit qu’il resterait seulement pour Objectif Censier et que le prochain serait à destination de festivals ; et ce sont mes parents qui m’ont forcé à l’envoyer (rires) ! Je n’ai pas eu le choix. Je ne l’ai pas envoyé à des festivals comme Cannes ou Clermont mais à des petits festivals qui ont quasiment tous sélectionné mon court métrage.

Quels sont les festivals auxquels tu as envoyé Memory ?

J’ai envoyé Memory à Lulea en Suède, à Brooklyn, à Sydney, au Festival du Film Fantastique à Paris, et ensuite à des festivals en ligne. Ils se sont beaucoup développés avec le Covid. On a eu un « lift off » à New York. Ce festival était en ligne, et il y en a eu deux autres à Paris mais l’un d’eux a été annulé au dernier moment. 

Tu as dû sous-titrer le court ?

Oui, et c’est une galère de fou (rires) ! Tu as des contraintes techniques pour le nombre de caractères par ligne, pour la couleur… En plus, comme on avait déjà des choses intégrées à l’image, il y a parfois des doubles sous-titres. La voix off est en italique pour qu’on comprenne que c’est la voix off. Pour les paroles de la chanson, on ne savait pas comment les sous-titrer donc c’était aussi assez galère. 

Le sous-titrage a pris combien de temps ?

Je pense une semaine. J’avais le scénario donc ce n’était pas compliqué pour le texte, c’était surtout pour le nombre de caractères par ligne et tout le reste.

Les critères changent en fonction du festival ?

Non, c’était global. Heureusement parce que sinon… (rires)

Tu as dû payer des frais d’inscription pour rentrer en festival ?

Oui. Je connais deux grandes plateformes qui sont partenaires de tous les festivals : il y a FilmFest Platform et FilmFreeway, celle que j’ai utilisée. C’était un peu fastidieux aussi : quand tu inscris un projet, tu dois rentrer toutes les données du projet, toutes les personnes qui ont participé, le synopsis, la production, ton pays d’origine, dans quelles conditions tu as tourné, la caméra… Tu as aussi des festivals où il est précisé par exemple « que pour les étudiants de Prague ». Donc j’ai dû mettre que pendant que je l’ai fait j’étais étudiant à Paris, alors je pouvais rentrer dans les catégories « étudiant » en festival mais je pouvais rentrer uniquement dans les catégories françaises. Une fois que tu as fait ça, ce qui prend quand même trois ou quatre heures, tu fais un shopping de festivals avec la liste de toutes les caractéristiques : tu as les prix de chaque festival, les catégories… C’est quand même assez bien fait. Tu as beaucoup de festivals mais les prix montent très vite. Pour la majorité des festivals, l’inscription par catégorie tourne autour de 20-30 $ je pense, donc si tu veux postuler en meilleur film et en meilleure image, tu dois payer deux fois, et ensuite tu dois multiplier ça par le nombre de festivals.

Il y a beaucoup de festivals où les catégories sont gratuites, donc je t’avoue que j’ai tout mis, même un festival en Bulgarie où je n’avais pas le droit d’être (rires).

Ce sont des festivals où les courts sont de format réduit ou les durées peuvent être différentes ?

Souvent, pour la catégorie « meilleur court-métrage », c’est en-dessous de 30 minutes, ou en-dessous de 45 minutes. Il y a des catégories avec des durées imposées hyper courtes où ça va de 1 à 5 minutes ou de 5 à 10 minutes. Par exemple, dans le festival à Paris où on va lundi [le Festival du Film Fantastique], on est les seuls avec un court de 5 minutes 40 parmi six courts métrages projetés. Les autres durent 20 minutes. C’est cool de ne pas prendre pas en compte la durée et se dire qu’on a autant de légitimité que des courts métrages de 20 minutes, mais tu te dis aussi qu’en 20 minutes j’aurais pu développer plus.

Au moment où on parle, Memory est déjà passé par des festivals ?

Il y a eu des projections en Suède et à Sydney, mais les billets d’avion coûtaient cher pour que je me déplace pour une projection. A Paris, il n’y avait pas beaucoup de festivals de science-fiction. On a fait un open screen il n’y a pas longtemps, dans le Vème. Le Festival du Film Fantastique à Paris est le premier festival où on va aller en physique avec une partie de l’équipe lundi [lundi 14 novembre]. 

A part la visibilité, que peuvent t’apporter les festivals ?

Les festivals permettent de rencontrer des gens. Bon, on n’a pas eu la chance de se rendre dans tous les festivals à l’international, mais les festivals permettent de voir les autres courts dans les festivals de science-fiction, notamment là où il y a des catégories « films étudiants ». Ce sont des gens qui ont le même âge que nous. Je suis allé un jour à un festival de science-fiction et il y avait quelqu’un du Québec. J’ai adoré son film. Donc j’ai pris son contact, on a commencé à discuter un peu. Les festivals donnent aussi l’occasion de suivre l’évolution des gens, surtout lorsque nous avons à peu près le même âge. L’open screen m’a permis de rencontrer des gens, le festival Objectif Censier aussi. Ce sont des gens de la fac en plus donc ça permet de créer une connexion plus proche. Je pense que le film fantastique reste un genre de niche en France donc j’espère rencontrer des gens lundi, et j’espère pouvoir aussi discuter de leurs projets, prendre des contacts.

Est-ce que le court que tu es en train de monter est en lien avec Memory ou c’est un projet complètement différent ?

C’est un tout autre projet, aussi de science-fiction, plus ambitieux, qui va faire à peu près 15 minutes, avec un univers plus poussé visuellement, et qui est à destination de festivals aussi.

C’est un court métrage que je sens plutôt abouti, et j’espère qu’il va avoir autant de visibilité en festival voire plus parce que les courts métrages ont un coût et l’objectif est qu’on puisse avoir assez de matière pour se vendre. Surtout pour de la science-fiction. Je pourrais dans l’avenir avoir un scénario en main et dire que j’ai fait deux courts, donc ça permet de montrer que je maîtrise mon univers visuel.

Vous avez déjà un nom pour le projet ?

Echos. Pour l’instant. J’ai toujours du mal avec mes noms de films (rires). Tout comme Memory, on parle d’une technologie futuriste dans un monde réel : on a une agence d’assurance qui assure un destin. Les agents sont chargés de faire suivre à la personne le destin qui a été tracé pour elle. Mais un personnage va battre les prédictions de l’agence. Donc il y a tout ce jeu autour de ce questionnement sur le destin et le défi qui lui est lancé. 

Pour l’instant tu veux rester dans le fantastique et la science-fiction ?

Oui, en tout cas c’est un thème où je me sens plus à l’aise dessus, parce que, tout comme Memory, ça permet d’aborder des thèmes assez lourds, qui sont un peu tabous en France : parler du deuil dans un court métrage en France, ça fait vite « drame lourd » …

Ce qui est plus fréquent dans le cinéma japonais ou coréen par exemple…

Oui, la culture coréenne fait partie de moi et donc ce mélange se ressent, mais aussi la science-fiction permet d’accrocher le spectateur à l’univers visuel par une technologie, puis de glisser la sous-thématique de manière plus subtile pour que le spectateur puisse s’y reconnaître. Aujourd’hui, si tu as une affiche d’un drame sur une mère qui a perdu quatre enfants et qui essaye de s’en souvenir, ça va moins intriguer qu’une technologie par laquelle elle peut revoir ses enfants et se perdre dans ces souvenirs. Je me mets aussi à la place du spectateur et, comme j’aime beaucoup parler d’histoires assez sombres, je ne les mets pas forcément au premier plan : c’est là où la science-fiction permet d’apporter cette nuance. Et j’ai la chance que visuellement ça puisse marcher grâce à une équipe suffisamment talentueuse pour que ça colle et pour me permettre de porter à l’écran ces thèmes-là. 

Et ce court métrage est produit ?

Il est autoproduit. Il coûte beaucoup plus que Memory. On a tourné sur six jours mais étalés sur deux mois. On a eu des problèmes avec des autorisations, des conditions météorologiques qui n’étaient pas top, donc on a tourné en septembre et en octobre.

On a pris un matériel meilleur que pour Memory, qui était un projet de fac et que je voulais faire sans « pression ». C’était le matériel de mon chef opérateur. Pour Echos, on est passé par des boites de location, on avait une équipe plus conséquente, donc plus de choses à gérer. On n’avait pas de production, donc j’ai découvert le métier de producteur, plus précisément le métier de directeur de production qui était compliqué. 

C’est aussi pour ça qu’on met beaucoup d’espoirs dans les festivals car des courts métrages comme ça, on ne peut pas en produire cent tous les deux mois, même si j’aimerais bien. Ça a un coût financier, et l’objectif est de s’abroger le coût financier pour se concentrer sur l’écriture et la réalisation.

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Article et entretien menés par Philipp Polishchuk.

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