Linda veut du poulet ! Qu’est-ce qu’on en dit ?

Linda veut du poulet ! (Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, 2023), une critique de Molly Proctor

Présenté à l’ACID du Festival de Cannes 2023 puis remportant le Cristal du long métrage au Festival d’Annecy, Linda veut du poulet ! est un bijou ambitieux et touchant qui s’annonce d’ores et déjà comme un film d’animation culte. 

Encore rares sont les films d’animation pleinement ancrés dans le réel, d’autant plus lorsqu’ils sont à destination du jeune public. En effet, une touche de fantastique semble prédéterminée à partir du moment où l’environnement et les personnages qui l’habitent ne relèvent pas de la prise de vue réelle. Un contre-exemple récent, le splendide Le Sommet des Dieux (Patrick Imbert, 2021), qui adapte le manga éponyme de Baku Yumemakura et Jirō Taniguchi, cible pourtant un public à partir de 10 ans. S’adressant à des spectateurs qui entrent en école primaire (6 ans), Linda veut du poulet ! est déjà un ovni, où un style graphique très coloré met en image la réconciliation entre une mère et sa fille dans un contexte de grève générale. 

Affiche du film Linda veut du poulet !

Le processus créatif de Linda veut du poulet ! était en lui-même très soucieux de préserver un ancrage dans le réel. Bien en amont du dessin image par image, les co-réalisateurs, Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, ont instauré des répétitions entre acteurs dans les lieux correspondants, afin que le jeu d’acteurs, des mimiques aux intonations, enrichisse l’univers diégétique dans son ensemble. À ce titre, le personnage de Serge, l’agent de police un peu lunaire, a changé d’apparence, afin que ses traits physiques puissent mieux correspondre à la voix de l’acteur (Esteban). Les dessins d’origine, de personnages mais également de décors, notamment la cité de banlieue fortement inspirée d’un repérage dans le XIII ͤ  arrondissement de Paris, ont ainsi été repensés à partir de ces répétitions.

Dès lors, il n’est pas étonnant que les co-réalisateurs rejettent le terme de doubleurs, voire même de simple voix, et défendent le statut d’acteurs. L’animation n’est pas un échappatoire dans le fantastique mais un embellissement du quotidien. Toutefois, le réel s’immisce également au dépend du film. Le personnage de Linda a été bâti autour de Mélinée Leclerc, fille de Michel Leclerc et Baya Kasmi. Au début du projet et pour les premiers essais de voix, elle avait 7 ans ; à la sortie du film, elle en a 12. Il a fallu la réenregistrer plusieurs fois avec sa voix qui changeait au fil des années *.

(*Évoqué dans l’échange suite à la projection du film au Festival du Film de La Rochelle – FEMA, le jeudi 6 juillet.)

Certes, le film se présente comme une « histoire de vie » * mais n’en reste pas moins loufoque. Linda, âgée de 8 ans, est injustement accusée par sa mère, Paulette (Clotilde Hesme), d’avoir perdu sa bague de fiançailles. Cette dernière y tient beaucoup, étant l’une des seules matérialisations de son amour passé avec le père de Linda, Giulio (Pietro Sermonti), mort alors qu’elle n’avait que quelques années. Face à cette erreur de jugement et rongée par les remords, Paulette serait prête à tout pour se faire pardonner. Problème : Linda en a marre de manger des plats aux micro-ondes et veut plus que tout déguster à nouveau le fameux poulet aux poivrons « à la romaine », la recette fétiche de son père et le seul souvenir qu’elle garde de lui. Paulette n’est pas une grande cuisinière mais, ce qui l’embête le plus, c’est de devoir se faire violence dans le but de se réconcilier avec sa fille. Cette douloureuse histoire sur l’acceptation d’un deuil et la réunion d’une famille déchirée ne sombre pourtant pas dans le pathos. Il s’y noue également des relations humaines très fortes. Plusieurs chansons rythment le fil de l’histoire, apportant à la fois de la légèreté ainsi qu’une certaine ode à la vie et aux personnes qui nous entourent lors des mauvaises passes. La camaraderie transparaît elle-même dans la vraie vie, car le groupe d’enfants demeure soudé depuis le tournage. Par ailleurs, le contexte de la grève générale, causant la fermeture des commerces, se présente comme un élément perturbateur et ressort comique génial, transformant le film en course poursuite avec un poulet bien vivant… 

(* Dossier de presse) du film. Gebeka, P. 6. https://www.gebekafilms.com/fiches-films/linda-veut-du-poulet/ )

L’originalité du film et son autodérision pour traîter les instabilités de la sphère privée et publique est incroyablement jouissive. Le film aborde avec humour et tact des sujets plutôt matures, et certaines blagues sont clairement sous-entendues aux spectateurs plus matures. S’adresser à hauteur d’enfants n’empêche pas d’aborder avec intelligence le monde adulte dans lequel vivent les plus jeunes. À ce titre, la cité dans laquelle vivent Paulette et Linda est présentée comme un véritable terrain de jeux vibrant et cosmopolite. Réaliser un film pour la famille n’empêche pas non plus d’explorer une palette de sentiments et leur complexité, notamment par des transitions drastiques entre joie et tristesse. Chiara Malta défendait justement cette idée de jouer sur des contrastes, notamment d’adopter un ton plus léger pour accepter des situations douloureuses * (information à retrouver également dans le dossier de presse). L’un des derniers morceaux musicaux l’incarne parfaitement, où le style du tap dance intervient de façon inattendue dans un ton de prime abord plus funèbre. 

Linda veut du poulet ! est un film très surprenant qui fait un bien fou. Potentiellement plus mémorable pour les grands que pour les petits du fait de sa complexité, il prouve encore une fois le potentiel cinématographique du cinéma d’animation français. Cocorico !

Projeté le 6 juillet dernier dans le cadre du FEMA, Linda veut du poulet !, réalisé par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, est à découvrir au cinéma dès le 18 octobre 2023. 

La bande annonce est à retrouver ici : 

Un article écrit par Molly Proctor.