Rencontre avec Perrine Boutin,
responsable de l'atelier "Portrait"
Chaque année, le festival Objectif Censier est orchestré autour de différents ateliers de réalisation portés par plusieurs enseignants de cinéma. Ces ateliers, tournés vers une consigne propre à chacun, permettent aux étudiants de réaliser ce qui est souvent leur premier court métrage. Aujourd’hui, rencontre avec Perrine Boutin, responsable de l’atelier “ Portrait ”, qui nous fait part de ses différentes réflexions et de son rapport à Objectif Censier.
Vous êtes responsable de l’atelier « Le portrait ». Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?
Cet atelier se veut un lieu d’expérimentation. Il s’agit de rassembler des étudiants pour qu’ils arrivent à faire un film ensemble, avec les moyens du bord, de l’idée à sa projection en festival, en quelques mois. C’est un défi que relèvent les étudiants chaque année. L’atelier n’est que le lieu de démarrage, le plus intense se passe en dehors des cours.
Selon vous, quelles sont les caractéristiques d’un bon portrait ?
Un bon portrait est un portrait juste, qui montre la chose portraiturée (une pensée, une idée, un lieu, une époque, une femme, un homme, des groupes d’individus…) de la façon la plus objective possible, et à la fois, la plus subjective : il faut qu’on sente la volonté d’authenticité du portrait, alors même que l’authenticité de la chose portraiturée n’existe jamais. Je montre presque chaque année quelques « portraits » faits par Alain Cavalier pour expliquer cette délicate alchimie.
Pouvez-vous nous présenter les groupes de réalisation et les projets qui se sont formés cette année dans votre atelier ?
Cette année, 4 groupes se sont constitués :
Un groupe de 4 étudiants va faire le portrait de la jeunesse d’aujourd’hui, sous forme d’un documentaire, en interrogeant un panel de différentes personnes qui ont toutes pour point commun d’avoir 20 ans en 2020. Le projet s’intitule Le radeau de la Méduse a 20 ans.
Un groupe de 5 étudiants va faire le portrait d’une conversation imaginaire entre deux artistes femmes, une peintresse du VIIe siècle, Artemisia Gentileschi, et une plasticienne Queer contemporaine. L’objectif est d’évoquer le manque de représentation, les difficultés à évoluer dans le monde de l’art lorsque l’on est une femme. Le projet s’intitule Panthéon.
Un groupe de 6 étudiants va faire le portrait d’une jeune étudiante américaine qui vit en France pendant le confinement et cherche, dans la fabrication d’un plat traditionnel, une reconnexion avec soi-même. Le projet s’intitule À la recherche du confort.
Un groupe de 2 étudiants va faire le portrait d’une jeune artiste peintre du nom de M.T., d’abord dans son atelier mais également dans ses questionnements face à son travail et ses difficultés. Le projet s’intitule M.T.
Les 4 projets sont prometteurs !
Le festival existe depuis maintenant 13 ans, quelle est votre relation avec Objectif Censier ? Depuis quand accompagnez-vous l’association ?
J’ai commencé à participer au festival quand je suis arrivée comme maître de conférences à l’université, en septembre 2011. J’ai donc participé à toutes les éditions depuis celle de 2012 en animant un atelier et en participant activement à l’association au départ. Les premières éditions du festival étaient très bricolées, avec une association toujours tenue par un étudiant, mais organisée par nous les encadrants des ateliers et quelques étudiants de médiation, plus ou moins motivés selon les années. La reprise en main par un groupe d’étudiants dans un atelier d’organisation encadré par des personnes impliquées dans l’association a donné une autre dimension au festival.
Et pour finir, cette année le thème du festival est celui du « Vertige ». Quel film, que vous aimeriez partager avec nous, cette notion vous inspire-t-elle ?
Quand je pense au thème du « vertige », plusieurs films très différents me viennent en tête : évidemment Vertigo, d’Alfred Hitchcock, à cause du titre et du thème, mais aussi Her, de Spike Jones (pour le vertige de la réalité virtuelle, comme Matrix) ou dans un autre registre : Spring Break d’Harmonie Corine, ou encore Vivre me tue, de Jean-Pierre Sinapi, en passant par La vie est immense et pleine de danger, de Denis Gheerbrant, sans oublier Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, des films très intimistes ou d’aventures qui racontent le vertige de la vie qui frôle la mort (ou l’amour avec Paris Texas de Wim Wenders).
Mais le vertige peut être formel, dans la mise en scène : un cinéma plus contemplatif me semble intéressant à revoir sous cet angle. Je pense aux films de Béla Tarr, à Gerry de Gus Van Sant… ; mais il ne faut pas oublier dans la prise en compte de l’esthétique le cinéma expérimental, évidemment très propice à ces questions (Jonas Mekas, Pellichian…), et le dernier mais non des moindres : le cinéma d’animation (par exemple Le Garçon et le monde d’Alê Abreu ou tous les films de Miyazaki aussi bien sûr !
Peut-être que le film qui allie le mieux selon moi la question du vertige sur le fond et la forme serait L’éternité et un jour, de Theo Angelopoulos, quand on pense à la dernière scène par exemple avec ce plan fixe sur la mer et un dialogue : « c’est combien de temps demain ? L’éternité et un jour ».
Mais je pense aussi à un film de Jacques Tati à cause d’un enfant à la sortie de Play Time expliquant que le film continuait dans la rue. Le vertige finalement… c’est tout le cinéma qui fait voir la vie différemment !
Propos recueillis par Mattéo FERAGUS