50 ans, 50 fauteuils: rencontre avec son concepteur, Christian Châtel

Interview de l’artiste Christian Châtel

@ChristianChâtel_2022

A l’occasion de la 50ème édition du Festival  de cinéma de La Rochelle, l’artiste Christian Châtel a proposé une installation mettant en scène des fauteuils de cinéma, déplaçant l’attention du spectateur sur la place qu’il occupe habituellement. Dans “50 ans, 50 fauteuils: Flash-back Memories, A Tribute to the Audience” des projections reprennent une partie de  l’histoire du festival, tout comme celle du cinéma, en mobilisant regard et écoute, laissant le champs libre à une nouvelle pensée de cette place du public et en mobilisant sa culture cinématographique.

Nous nous sommes rendus, Alicia, Quentin et Isaline, à la Galerie de la Porte Maubec, pour apprécier cette œuvre. Nous avons ensuite eu la chance d’échanger avec l’artiste. Une interview que nous retranscrivons ici.

Isaline: Pouvez-vous nous parler un peu de votre travail et vous présenter?

Christian Châtel: J’ai une formation d’art assez classique. Je suis passé notamment par Le Fresnoy [Studio National des Arts Contemporains, Tourcoing] qui est une école d’art audiovisuel supérieure avec un certain niveau de production. En parallèle  de mon travail artistique, je travaille dans une école de cinéma à Bruxelles, l’INSAS. J’ai aussi une formation de projectionniste en pellicule traditionnelle. Pour tout le reste, je suis  autodidacte, c’est une passion du cinéma.

J’ai donc une certaine affinité pour le cinéma, et les films en général, et pour le dispositif cinématographique aussi, et là plus en tant qu’artiste. Le principe général de mon travail, que l’on retrouve quasi systématiquement, c’est une remise en question du dispositif. C’est-à-dire que typiquement, ici, vous avez les fauteuils qui deviennent les écrans et le spectateur qui se positionne non plus sur son fauteuil mais à la place de l’écran. Il y a un retournement de situation. C’est comme cela que fonctionne mon travail en général.

J’ai fait des installations uniquement avec des projecteurs de cinéma, avec des écrans, notamment des écrans mémoire, des écrans phosphorescents, des écrans à 360°, etc. J’essaye de pousser dans ses  retranchements le dispositif au maximum quand il est en train de vieillir, de mourir, de ne plus être adapté au moment et qu’il a tendance à être mis au rebut. Je m’en saisis pour le remettre en œuvre, dans tous les sens du terme. De lui donner, je ne sais pas si c’est une seconde vie, une nouvelle perspective d’existence.

Isaline: Vous m’avez parlé du 360°. Cela me fait penser au lieu dans lequel est créée cette installation. A-t-elle été créée pour le lieu dans lequel elle est présentée, à savoir la Porte Maubec?

C. Châtel: Je suis venu au festival l’année dernière avec mes étudiants. J’avais eu une expérience préalable avec 9 fauteuils lors des journées du patrimoine à Bruxelles dans un cinéma désaffecté, le RIO. Quand j’ai appris que cela allait être les 50 ans du festival, son jubilé, je me suis dit que c’était l’occasion de faire plus que 9, peut-être 50 fauteuils. 50 ans, 50 fauteuils sur le principe.

C’est une idée générique. Il n’y a pas 50 fauteuils mais 48 si vous les comptez mais ce n’est pas problématique en soi. C’est un prétexte. L’installation a été créée dans mon atelier à Bruxelles. Pour le lieu, nous avions prévu La Chapelle des dames Blanches, à 200 m d’ici. Pour différentes raisons, cela n’a pas fonctionné et ne se mettait pas en place comme il fallait, notamment par rapport à la luminosité de l’espace. On a switché, je me suis retrouvé ici. Je suis venu faire un repérage technique. Le lieu est en effet magnifique. Sans avoir testé l’installation ici, sans l’avoir créée in situ, maintenant que je l’ai mise en place, il y a beaucoup de retours pour me dire qu’il s’agit du lieu qu’il fallait pour cette installation.

Isaline: Vous avez parlé d’une chapelle. Ici, l’aspect sonore avec les voûtes le fait ressortir.

C. Châtel: Tout à fait! Après, nous sommes à La Rochelle. Ce sont des bâtiments historiques, du patrimoine architectural mais l’installation n’a pas été créée pour ce lieu ni en fonction de lui. Elle fonctionne pour elle-même. Elle pourrait être montrée n’importe où ailleurs mais cela semble être le lieu le plus favorable. C’est un heureux hasard.

Isaline: Quelles sont vos inspirations?

@ChristianChâtel_2022

C. Châtel: Pour la séquence des fenêtres, c’est notamment le Tango de Zbigniew Rybczynski (1981, Pologne). Après, il y a par exemple toute la séquence des portraits qui arrivent en noir et blanc, qui vont remplir la salle et s’accumuler les uns les autres. (Vous ne l’avez sûrement pas connu) Cela vient d’une émission de télé qui s’appelait Le Cinéma de Minuit, en France. Le générique fonctionnait avec un système de fondus enchaînés, d’images du cinéma, d’acteurs qui s’embrassaient. Cela faisait en sorte que Humphrey Bogart embrassait Maryline Monroe, qui embrassait ensuite John Wayne,… Il y avait un mélange comme ça, tout à fait subtil. Pour moi c’est une des références parce que c’est mon histoire du cinéma, ou mon vécu. On en a chacune et chacun une. C’était un petit peu l’idée que je voulais redonner aussi, c’est-à-dire qu’en tournant le projecteur vers les spectateurs, on offre au spectateur sa propre mémoire d’une certaine façon.

Isaline: C’est un mélange de différentes mémoires. Celle du festival, avec des références ou des allusions à ses sujets, son histoire. Vous parlez aussi de celles du spectateur. J’ai en tête une des miennes. Quand on voit la main [séquence d’installation avec un dégrossissement progressif d’une main] qui rétrécit, personnellement j’ai pensé à 2001, l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968, Angleterre).

@AliciaWale

C. Châtel: Cela n’est pas faux non plus, cela en fait partie. J’ai une affinité avec les films qui se déroulent dans l’espace. Le plus célèbre, proche de nous, c’est peut-être Gravity (Alfonso Cuaron, 2013, Etats-Unis) mais je suis assez sensible à tous les films qui se déroulent dans l’espace. C’est un des seuls endroits qui reste encore vierge, jusqu’à présent, plein de possibles et plein d’imaginaires. La main est donc en écho à 2001, ou à l’univers spatial.

Isaline: Justement cette main, c’est pour l’univers spatial ou il y a d’autres interprétations possibles?

C. Châtel: Le principe a été d’aller récupérer des bandes-annonces des films qui ont été diffusés ici. Après j’ai butiné, j’ai picoré dans des bandes-annonces. J’ai trouvé des plans qui m’intéressaient, qui fonctionnaient dans la mise en scène. Je suis tombé sur ce plan de la main, je ne sais plus dans quel film. J’ai travaillé plastiquement, comme on travaillerait une sculpture. Il y a eu différentes étapes par rapport à cette main, par exemple.

Isaline: Je vais revenir à l’aspect sonore, peut-être parce que j’y suis assez sensible. D’où vous sont venus ces choix de musiques?

C. Châtel: J’ai travaillé avec un compositeur car je ne suis pas musicien, ce qui est une frustration pour moi, d’où la séquence du piano. Avec les notes, c’est une façon pour moi d’être musicien. Le projet ici était d’appliquer une écriture de partition, de touches de piano, dans cette séquence-là en particulier.

Ensuite, nous avons fait des allers-retours avec le compositeur, en lui fournissant des références qui m’inspiraient; il est aussi aller chercher dans des bandes-annonces originales des films; et puis il y a des choses que lui-même a composées, parce qu’il le sentait comme ça.

Isaline: Est-ce que l’on peut retrouver ces compositions, pour les écouter de nouveau? C’est un prolongement de l’expérience, comme lorsque l’on va voir un film. Et je trouve qu’il y a une musicalité visuelle dans l’installation, qui émane du rythme, de la lumière, du choix du positionnement avec les sièges, etc.

C. Châtel: La BO n’est pas encore sortie! Je vais lui en parler! Il y a un certain rythme en effet. Je l’ai vraiment envisagé comme une composition visuelle, au même titre qu’une composition musicale.

Isaline: Où peut-on retrouver votre travail? 

C. Châtel: J’ai un site web sur Tumblr. https://christian-chatel.tumblr.com/

Merci à Christian Châtel, pour cet entretien enrichissant à la fois sur notre expérience de son travail et cette installation, mais aussi très humain et sensible. Vous pouvez également le retrouver sur Instagram, sous le nom de cinemakina_ 

Vous pouvez consulter notre reel à propos l’installation sur notre compte instagram, objectifcensier, dans lequel apparaissent des images de l’installation et nos ressentis. https://www.instagram.com/reel/Cf12nEGgned/?igshid=YmMyMTA2M2Y=

 Notre entretien apparaîtra aussi dans une vidéo YouTube des différentes interviews menées durant le FEMA.

Un aperçu des éléments cités : 

Vidéo génériques Cinéma de Minuit : https://www.youtube.com/watch?v=TIR6-dz4Ikg 

Extrait de Tango : https://www.youtube.com/watch?v=WcySR3RmenE 

Une interview menée et retranscrite par Isaline Riet–Lesieur, orientée et accompagnée par Alicia Wale et Quentin Phemoland.