Les enjeux de programmation face aux VSS

Table ronde Collectif 50/50 et AFCAE : Les enjeux de programmation face aux VSS

de gauche à droite, Jeanne Le Gall, Frank Sescousse et Marine Riou

Le dimanche 30 juin le FEMA organisait une table ronde animée par Laura Pertuy du Collectif 50/50 et de Marguerite de Lacotte de l’AFCAE. Elles ont toutes les deux présenté la table ronde en début d’après-midi, qui avait pour but de discuter de différents outils que peuvent utiliser les programmateur.ices et distributeur.ices lorsqu’ils et elles font face à des films où un membre de l’équipe est accusé de Violence Sexiste et Sexuelle (VSS), films qu’elles désignent par l’expression “films abîmés”. Cette rencontre était le deuxième temps d’échange sur le sujet, un premier ayant eu lieu en début d’année entre exploitant.es uniquement pour entamer la discussion.

Pour répondre à cette problématique, elles avaient invité deux programmateur.ices, Marine Riou (Espace 1789 à Saint-Ouen) et Franck Sescousse (Cin’Hoche de Bagnolet), ainsi que Jeanne Le Gall, qui est programmatrice au sein de la société Arizona Distribution. 

Cette table ronde a débuté par des anecdotes de Marine Riou et de Franck Sescousse qui expliquaient comment ils avaient dû gérer la programmation de certains films et des solutions qu’ils ont choisi de mettre en place suite aux révélations médiatiques notamment post-sortie.

Marine Riou a par exemple programmé le film Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi ainsi que Jeanne du Barry de Maiwenn, mais avec ses équipes, suite aux annonces dans la presse liées aux débordement violents de Maïwenn, ainsi qu’aux accusations visant Sofiane Bennacer, a  fait le choix de diffuser des cartons informatifs sur lesquels étaient écrits les faits reprochés à l’acteur et la cinéaste. Pour les Amandiers, des  informations liées à l’affaire ont également été collées sur les affiches du film dans le cinéma, et mises à disposition en billetterie. La programmatrice a également choisi de ne plus programmer des films de Joachim Lafosse, ce dernier étant accusé de VSS, de harcèlement moral, et ayant eu un comportement déplacé envers elle en pleine présentation de séance à Saint-Ouen. 

carton DCP préventif diffusé en avant séance du film Les Amandiers

Franck Sescousse a lui fait le choix de ne pas programmer certains films, tel que Le Consentement de Vanessa Filho. Pour ce programmateur, le film offre un point de vue problématique sur la question de la pédocriminalité, en positionnant le spectateur dans une position voyeuriste. Il a par ailleurs choisi de traiter de ce sujet en programmant le film de Christine Angot, Une famille, en présence du juge Durand (juge pour enfant et coprésident de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) entre 2021 et 2023). 

Jeanne Le Gall, en tant que programmatrice chez Arizona Films, cherche à mettre en avant des films plus variés, avec pour ligne éditoriale des regards singuliers. Avec la responsable de la société, Bénédicte Thomas, elles souhaitent tenir un line-up paritaire. Par exemple, en 2022 et 2023, il y avait autant de films faits par des réalisatrices que par des réalisateurs dans leurs sorties. Comme l’ont souligné Marguerite de Lacotte et Laura Pertuy, ici une des solutions possibles est de choisir de programmer des films et des artistes peu connus dans le cinéma européen. 

Lors de cette table ronde il a été soulevé différentes questions qui sont à prendre en compte lors de la mise en place d’actions pour lutter contre les VSS et travailler sur des “films abîmés”. Comme l’a très bien expliqué Marine Riou, le cinéma est avant tout un art collectif. Il est donc nécessaire de savoir comment se place l’équipe du film en cas de VSS. Pour elle, le problème principal est qu’à l’heure actuelle, il existe une trop forte omerta au sein de l’industrie cinématographique, et que souvent, la totalité de l’équipe de tournage est au courant.

Les trois intervenant.es se sont accordé.es sur le fait que certaines sociétés de production/distribution font le choix de protéger leurs artistes en ne transmettant aucune information sur les cas de VSS ou d’accusations sur leurs collaborateurs. Ce fut le cas avec le film Les Amandiers où l’information est sortie au même moment que la sortie nationale du film, une fois celui-ci programmé dans les salles, ce qui contraint les exploitant.es à réagir à posteriori. Comme l’ont soulevé Marine Riou et Laura Pertuy, l’intégralité des membres de l’équipe du film connaissait les agissements de l’acteur, mais rien n’a été évoqué.

Il existe pour Marine Riou, Franck Sescousse et Jeanne Le Gall une différence qui est à prendre en compte lors de la programmation de films dans leurs salles. Lorsqu’une équipe de film n’est pas au courant des agissements d’un de leurs collaborateurs, les programmateur.ices cherchent donc à voir comment il est possible de mettre le film à l’affiche tout en informant les spectateur.ices des événements, afin de ne pas pénaliser un travail collectif sur une oeuvre en choisissant de la déprogrammer, acte fort qui relève selon eux d’une forme de punition collective qui pourrait s’appliquer par exemple au cas mentionné juste avant.

S’est également posée la question des “films abîmés” de patrimoine. Pour Jeanne Le Gall et Laura Pertuy, ces films peuvent être programmés dans les salles, mais il est nécessaire de remettre dans le contexte la programmation de ces derniers afin d’informer les spectateur.ices des agissements de certains artistes, décédés ou non. 

Comme l’ont très bien rappelé Marine Riou et Franck Sescousse, la programmation est d’une certaine manière un acte politique et de pouvoir. Les programmateur.ices ont le choix de mettre, ou non, un film en avant et de lui donner une certaine visibilité. L’un des problèmes auxquels elle et il sont confrontés sont les accusations de censure portées à leur endroit en cas de non-programmation ou déprogrammation. En effet, pour eux il ne s’agit pas de censure, mais de ne plus mettre en avant des auteur.ices problématiques ou bien d’apporter d’autres solutions pour parler de ces films. 

Jeanne Le Gall a rappelé à cette occasion qu’au sein de la filière distribution-exploitation, des rapports de forces pouvaient régulièrement s’installer entre les programmatrices (profession majoritairement féminine et jeune) et les distributeurs ou les exploitants, des postes principalement masculins et monopolisés par une génération plus ancienne.

L’autre problème qu’a soulevé Marine Riou est la position dans laquelle les spectateur.ices peuvent se trouver. Pour elle, cela peut les mettre dans une position inconfortable de se retrouver face à un carton les informant qu’un.e des membres des équipes de film est accusé.e de VSS. L’idée est de ne pas mettre mal à l’aise les spectateur.ices, mais de leur offrir une totale transparence sur ce qui se passe dans cette industrie. Malgré cela, comme le souligne Franck Sescousse, il est difficile d’obtenir des retours de la part du public, surtout autour de ces questions et des outils mis en place par les exploitant.es. Ce choix d’outil de prévention est d’ailleurs remis en question par l’ensemble du panel de la rencontre, car il convoque une forme de prise d’otage du public, qui s’est déplacé pour voir un film, pour se retrouver face à un avertissement de l’exploitant.e, une fois installé dans la salle.

La table ronde s’est terminée autour de la question des outils qu’il est possible de mettre en avant auprès de tous les membres de la chaîne de production et de diffusion d’un film, et les approches vertueuses autour des films abîmés. Laura Pertuy et Marguerite de Lacotte ont pris l’exemple du film Je le jure de Samuel Theis. Lors du tournage, ce dernier a fait l’objet d’accusations ; l’équipe de production du film (Avenue B Production, Caroline Bonmarchand) a tout de suite réagi en proposant aux membres de l’équipe qui le souhaitaient de quitter le tournage à ce moment-là, tout en étant payés. Ils ont aussi choisi de mettre le réalisateur à l’isolement pour la fin du tournage, ce dernier étant dans une pièce tout en continuant à donner des directives.

Pour conclure, on peut mentionner une idée développée actuellement par la société de distribution où travaille Jeanne Le Gall, qui est d’inclure dans les contrats une clause “Me Too”, dont le but serait de pouvoir rendre un film (se désengager) en cas des VSS. Le curseur reste encore à définir, à quel stade la clause peut-elle être mobilisée (accusations, plaintes, mises en examen). 

D’autres temps de rencontre sont par ailleurs attendus dans les prochains mois afin de développer des outils et travailler sur l’influence et la remise en question nécessaire de la culture professionnelle dans ces situations.

Retrouvez la retranscription complète de la table ronde dans le courrier de l’AFCAE.

Un article écrit par Zoée Listman, contribution de Julie Deschryver

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