Film-Vertige
Leviathan de Véréna Paravel & Lucien Castaing-Taylor
Chaque année, le festival de courts métrages Objectif Censier choisit un thème. Après « Désordre » en 2019, place cette année au « Vertige ». Les thèmes sont la ligne directrice pour les étudiants qui doivent réaliser leur film. On peut y voir une consigne, une contrainte, mais l’idée est surtout un appel à la créativité. L’exercice de cette série d’articles est d’évoquer – et de mettre en lumière – des films, des scènes qui font écho à ce thème.
Leviathan est un véritable film-monstre, si bien que la nuit au cinéma avait rarement pris cette allure de chaos total et orageux. En embarquant sur un chalutier pour dresser le portrait d’une des plus vieilles entreprises humaines (la pêche), Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor dans Leviathan, témoignent, dans un flot d’images sidérant, de l’affrontement qui engage l’humain, la nature et la machine. Du documentaire sur la pêche, les deux cinéastes font une expérience immersive, d’une rare intensité, où ils préfèrent poétiser et interroger le monde par les seuls ressorts de l’expérimentation audiovisuelle, au lieu de le virtualiser.
Le film étonne par l’intention singulière portée à l’esthétique : tourné avec une dizaine de GoPro et un appareil photo, le film multiplie les angles. Leurs caméras remuent aussi bien sur le pont du bateau – les caméras s’attardent sur les pêcheurs qui effectuent leur travail – qu’à l’intérieur de l’eau où la caméra est prête à plonger d’un instant à l’autre. Ce que le film permet, c’est la représentation de l’humain dans son écosystème. Les cinéastes sont attentifs à ce qui vit autour du bateau. Nous pouvons noter les impressionnants plans de mouettes qui viennent contraster avec ceux des poissons capturés et morts.
Plus le film avance, plus il se dessine, le bateau devient comme le ventre de la nuit. Pris dans l’engrenage de ce navire, le spectateur assiste à l’exposition de la souffrance dans son plus grand dénuement : de l’éventrement des animaux marins aux crachats de sang qu’éjecte le bateau en même temps que les organes non comestibles des poissons, mais aussi la solitude de ces marins rendue comparable à la voracité d’une algue. Le procédé de ces cinéastes consiste à improviser et à trouver une façon de s’impliquer avec les pêcheurs dans une sorte d’« anthropologie partagée », comme le disait Jean Rouch.