Critique du film Les Amandiers, de Valeria Bruni-Tedeschi (2022)
L’équipe d’Objectif Censier a eu la chance de voir en avant-première lors du FEMA, le dernier film de Valeria Bruni-Tedeschi : Les Amandiers, qui sort en salle aujourd’hui, mercredi 9 novembre 2022.
Ce film nous raconte l’histoire du célèbre théâtre Nanterre-Amandiers, se focalisant sur les années Chéreau et la vie de son école. Il nous plonge directement dans les épreuves d’admission de la formation avec une focalisation sur la nouvelle promotion: Adèle, Agnès, Victor ou encore Etienne, des personnages inspirés des comédiens ayant réellement parcouru ces planches au même moment que Valeria Bruni-Tedeschi, dont le double dans le film se prénomme Stella. Mêlant vie professionnelle et personnelle des professeurs et de leurs élèves, Les Amandiers nous dévoile l’envers du décor du métier de comédien de plateau, grâce à cette rencontre de jeunes adultes, habités par leurs premiers émois mais aussi leurs premiers moments de doute et de désespoir. Au sein de ces “drames-de-la-vie”, c’est une époque et un groupe qui renaissent sous les yeux des spectateurs.
Océane
Ce film m’a particulièrement touchée. Bien qu’assez éloignée de la culture théâtrale, l’œuvre de Valeria Bruni-Tedeschi a su me happer dès les premières minutes en proposant un mélange très harmonieux entre souvenirs de jeunesse de la réalisatrice, personnages très caractérisés et humour flottant qui apporte de la douceur et de la naïveté à ce film. Le duo de tête incarné par les acteurs Nadia Tereszkiewicz et Sofiane Bennacer sait tenir son rôle et aide les autres personnages à évoluer au sein de la diégèse. Petite déception sur le personnage d’Adèle incarné par Clara Bretheau qui ne prend pas la hauteur que l’on aurait pu espérer d’un personnage aussi charismatique.
Note : 8/10
Isaline
Au carrefour de préoccupations d’avenir et de sentiments, Valeria (Bruni-Tedeschi), Stella (interprétée par Nadia Tereskiewicz) et Sophie (personnage dans Platonov) ne forment qu’une et apparaissent de cette façon dans Les Amandiers. Si la réalisatrice dit avoir voulu reformer des duos/couples à l’écran, c’est au travers du personnage principal que renaissent souvenirs et fantômes de Nanterre-Amandiers, et toute l’énergie d’une époque. Projetés au milieu des années 1980, toute une atmosphère (musiques, noms familiers de Chéreau et Romans, voitures, tenues, et j’en passe) nous replonge dans une époque marquée par le sida, et un environnement où se mêlent désirs et drogues. Sans entrer dans la caricature, nous sommes plutôt projetés dans cette récréation d’un souvenir, peut-être parfois biaisé, pas toujours précis mais ancré dans le passé d’une génération. Bien que la réalité soit fictionnalisée, il est parfois difficile de savoir où se situe la limite de l’irréel. Stella apparaît comme le reflet de Valeria, faisant revivre son passé à travers d’autres traits. Pourtant, la fiction ne nous est pas présentée comme documentarisante.
Quelques choix ne m’ont pas forcément convaincue, dont ceux du casting. Comment adhérer au personnage de Chéreau quand il est incarné par Louis Garrel, dont la présence dans le cinéma contemporain français comme sa personnalité prennent le pas sur les personnages qu’il incarne? Que dire de Suzanne Lindon, qui n’a peut-être pas joué la fanatique du théâtre et qui apparaît telle qu’elle semble l’être réellement? Enfin, pourquoi Sofiane Bennacer pour le rôle d’Etienne, qui dans son ton, son rythme et ses mots, m’a fait avant tout fuir le souvenir de l’amant maudit alors opposé au jeu de Nadia Tereszkiewicz, qui, comme sa metteuse en scène, habite complètement le personnage et s’approche du sublime dans certaines scènes, des monologues de jeu.
Si l’on accroche avec l’intrigue, le film peut nous paraître toutefois très éloigné, évoquant un monde théâtral auquel seuls certains avertis ont accès. M’est venue, à la suite de cette expérience de Nanterre Amandiers l’envie d’en savoir plus, de me documenter, et de me donner accès encore plus aux histoires qui ont habité cette époque, celles peut-être moins évoquées dans le film (Agnès Jaoui, Vincent Perez, pour ne citer qu’eux).
Note: 8/10
Si le documentaire réalisé par Karine Silla Perez (femme de Vincent Perez) et Stéphane Milon porte le titre Des Amandiers aux Amandiers (2022), il place avant tout en son coeur le parcours, l’admiration, l’observation d’une Valeria Bruni-Tedeschi réalisatrice, hantée par les événements de sa vie qu’elle remet en scène. La confusion personnages/personnes apparaît encore plus présente dans son rejeu de son vécu, sa citation de nombreux éléments du réel qui apparaissent dans le film, etc. Pourtant, si elle apparaît comme la star du film, le portrait peint d’elle, et notamment par ses comédien.ne.s, n’est pas parfait. Il met en évidence sa grandeur effrayante, son aura, ses démons peut-être, mais aussi les difficultés que son implication révèle sur le tournage, et notamment son besoin d’intervenir et sa parole qui est omniprésente dans les prises son. Une place est malgré tout laissée aux autres acteurs qui forment le film, et qui incarnent la jeunesse représentée : ses comédiens. A travers leurs retours sur le tournage, leurs personnages, l’époque qu’ils découvrent. Pourquoi ne pas avoir prolongé ces témoignages avec ceux des réels habitants de Nanterre Amandiers?
Quoi qu’il en soit, pour découvrir cet univers théâtral, entrer dans la mémoire de Valeria Bruni-Tedeschi, se plonger dans le jeu d’une nouvelle génération d’acteurs.trices ou encore pour amorcer l’entrée dans le travail de Patrice Chéreau, Les Amandiers et le documentaire qui y est dédié ne peuvent être qu’une approche personnelle que l’on remarque.
Un article écrit par Océane Boyadijan et Isaline Riet–Lesieur.