Rencontre avec Thomas Bornot,
réalisateur de Cyril contre Goliath (2020)
Il y a quelques semaines sortait sur les écrans le film Cyril contre Goliath, qui raconte comment le milliardaire Pierre Cardin fait main basse sur le village de Lacoste. Plus qu’un film engagé Thomas Bornot et Cyril Montana nous offrent un film sur l’engagement citoyen. Rencontre avec le réalisateur Thomas Bornot.
Quelle est la genèse de la réalisation de Cyril contre Goliath ?
Je venais de terminer un film sur l’amour moderne pour la télévision et j’ai été contacté par Cyril Montana que je ne connaissais pas, qui avait vu mon film, qui l’avait beaucoup aimé et qui m’a proposé de l’accompagner sur un projet autour de son village d’enfance et la prédation du milliardaire Pierre Cardin sur celui-ci. Au départ je ne savais pas trop où je mettais les pieds mais rapidement j’ai compris que, plus que Pierre Cardin, Cyril Montana était un personnage à part entière. J’ai accepté de faire le film s’il en devenait le héros.
Existe-t-il un processus d’écriture documentaire ? Si oui lequel ?
Je ne sais pas s’il existe un procédé qui ferait autorité quant à l’écriture documentaire mais je pense que chaque documentariste doit avoir sa recette ou du moins ses propres techniques. On dit que la fiction c’est trois phases d’écriture : le scénario, le tournage et le montage. C’est à peu près la même chose pour le documentaire à la différence que le scénario ne cesse d’évoluer sous l’épreuve de la réalité. On écrit ce que l’on imagine, ce que l’on attend, ce que l’on espère après on ne peut pas tout contrôler. Je sais que personnellement je ne me mets à tourner que lorsque j’ai l’impression d’avoir mon film bien en tête. Ensuite au montage, je me laisse beaucoup de possibilités de retourner. C’est le moment d’écriture le plus important le montage pour moi. J’y passe beaucoup de temps. Dès lors, je peux tourner sur mesure des séquences qui me permettent de lier l’ensemble de manière plus forte.
De quelle manière s’est fait le tournage ?
Le tournage s’est déroulé sur 4 ans. Comme je disais, je mets du temps à sortir ma caméra et là, ça a été le cas. Presque 1 an. C’est une histoire douloureuse dans le village alors il était essentiel de ne pas débarquer comme cela, sans connaitre les personnes, leur point de vue sur cette histoire et commencer à filmer. Je voulais qu’ils me fassent confiance et qu’ils sachent ce que j’avais en tête. Après techniquement, c’était plus compliqué qu’un tournage traditionnel puisque c’est un film que nous avons fait sans argent ou presque (juste les 30 000 euros d’un crowdfunding). Il fallait alors être innovant. J’ai demandé à toutes les personnes que je connaissais dans la profession un peu d’aide et le film s’est fait grâce à un formidable élan d’engagement et de solidarité. C’était un peu comme faire un court métrage mais de 1h30.
Comment aborde-t-on le montage d’un documentaire ?
Pour le montage, c’était un peu la même chose que pour le tournage. Arthur Frainet qui est mon assistant réalisateur venait de quitter une société qui ne lui donnait pas sa chance comme chef monteur. Je lui ai donc proposé que nous montions le film ensemble. Il faut bien commencer. On a monté 4 mois chez lui et créé la structure narrative du film ensemble. Ensuite j’ai fait une cession d’un mois tout seul où j’ai peaufiné certains moments, réécrit, déplacé des blocs jusqu’à ce le film soit là. Et puis il me fallait un dernier regard de professionnel pour finaliser. C’est là que nous avons eu la chance de rencontrer Yannick Kergoat qui a beaucoup aimé la version que nous lui avons montré et qui nous a proposé de finaliser non seulement le montage mais aussi la production du film avec lui. C’est un énorme monteur, il a travaillé pour Costa Gravas, Kassovitz, Dominik Moll. C’était une chance pour Arthur et moi de travailler avec lui.
La sortie du film est tombée au moment de la crise sanitaire. Comment, avec le distributeur, avez-vous
fait face? Quelle a été la stratégie pour montrer le film au public ?
Il est vrai que sortir un film en 2020 n’était pas une super idée mais personne ne pouvait imaginer. Avec Jane Roger de JHR films, notre distributrice, nous avions prévu de sortir le film le 22 avril. A ce moment-là, nul ne pouvait imaginer combien de temps le confinement allait durer et combien de temps les salles de cinéma resteraient fermées. Le CNC a proposé aux distributeurs d’inverser la chronologie des médias et donc de pouvoir sortir le film en VOD avant une éventuelle sortie salle.
Vu que tout le monde était devant son écran d’ordi, on a plongé dans ce chemin en optant pour la proposition de la 25eme heure qui avait créé une plate-forme avec des séances en E-cinéma pour venir en aide aux petits exploitants. Les vraies salles de cinéma proposaient le film à leur public à des horaires fixes et les spectateurs regardaient le film chez eux au lieu de se déplacer. Alors c’est un système un peu inhabituel à une époque où l’on regarde ce que l’on veut quand on veut mais c’était important pour nous d’être solidaire du réseau de cinémas indépendants qui font un travail de terrain génial et que nous avons pu voir puisque le film a fini par sortir en salle le 9 septembre et a été projeté dans plus de 40 salles. Peut-être que sans la crise sanitaire le film n’aurait pas eu autant de presse et autant de salles. Mais bon on ne va pas refaire l’histoire.
Une œuvre qui évoque le Vertige pour vous ?
La première qui vient en tête c’est La vie mode d’emploi de Georges Perec. Le dernier chapitre est comme la dernière pièce d’un puzzle qui définirait seulement au moment où elle se place l’image complète, invisible avant. Vertigineux. Sinon la série « Légion » qui a été aussi une grosse claque à tout niveau. Une belle parabole sur le cinéma de genre et même le cinéma tout court.
Propos recueillis par Camille Périssé