Rencontre avec Lucie Algénir, réalisatrice de COOK

Le retour des étudiants-réalisateurs :

COOK de Lucie Algénir

Le thème « Bulles » de l’édition 2024 du festival a été interprété de multiples façons par les étudiants dans leurs courts métrages. La bulle dans laquelle Lucie nous invite à travers sa caméra est celle de son ami Cook, un jeune musicien marseillais. Le public découvre un personnage honnête et attachant qui se promène dans le quartier de Kalliste, où il a passé son enfance, en partageant des anecdotes drôles et tendres mais aussi des réflexions plus intimes. La réalisatrice livre une œuvre émouvante et sincère, qui n’est que le premier jet d’un projet plus important. Retour sur une rencontre enrichissante.

 

Peux-tu te présenter à nos lecteurs ? 

Je m’appelle Lucie, j’ai 22 ans et j’ai intégré la Fémis en Production cette année, après avoir terminé ma licence de cinéma-audiovisuel à la Sorbonne Nouvelle.

Ma passion pour le cinéma est née au lycée : je faisais du football mais j’ai dû arrêter à cause d’une blessure, donc j’ai regardé beaucoup de films pour compenser, je vivais cinéma. Puis j’ai fait un BTS audiovisuel et j’ai intégré la Sorbonne en Licence 3. Dans la vie, je suis aussi chargée de production et assistante de production. J’ai fait un stage chez Studio Bagel, j’ai fait du clip, de la publicité et du contenu internet. Donc j’ai assisté à beaucoup de tournages mais Objectif Censier était une expérience toute nouvelle pour moi car COOK est mon premier film.

 

Comment est née l’idée de faire ce court métrage ? 

COOK est un projet particulier et personnel de long métrage qui mûrit depuis deux ans. J’ai saisi l’occasion des cours de préparation de la fac afin de tourner des images pour un court et me rendre compte de comment il pourrait rendre en long (1h30 environ).

Cook est un ami de Marseille, où j’ai passé mon adolescence. Il fait de la musique et je l’aidais à faire la production de ses clips. C’est tellement un personnage honnête qu’on a envie d’être ami avec lui ! C’était une évidence de réaliser un film sur lui, et il a accepté tout de suite.

A la rentrée, je me suis inscrite au TD « entretien filmé » sans trop réfléchir. C’était un joli hasard. J’ai une appétence particulière pour le documentaire et l’entretien filmé a plus vocation à en être un. J’ai embarqué des amis à moi pour faire l’image, le son et le montage, durant lequel on a écrit le film. J’ai choisi mes techniciens parce que je connaissais leurs capacités.

 

Qu’as-tu pensé du TD « entretien filmé » ? Est-ce qu’il t’a beaucoup servi pour ton projet ? 

Le TD était bien et le professeur nous a beaucoup donné son avis, notamment sur le montage, ce qui nous a été utile.

 

Combien de temps ont duré le tournage et la post-production ?

On est restés quatre jours à Marseille, le tournage en a duré trois. La post-production a été longue parce qu’on a pris beaucoup d’images, étant donné que je souhaite en faire un long métrage. Nous avons filmé de quoi faire trente minutes de film qui ont été réduites à cinq pour respecter les règles du festival. Mais j’ai le projet de retourner à Marseille pour avoir encore plus d’images.

 

Vous avez tourné dans le quartier de Kalliste et filmé quelques habitants. Comment le tournage a-t-il été perçu sur place ? Cela devait être inhabituel. 

Nous étions un peu des bêtes de foire. Mais Kalliste est l’environnement de vie de Cook, nous n’avons pas eu de problèmes. C’est aussi mon univers à moi, donc c’était moins compliqué que si je ne connaissais personne.

 

Cook est la figure centrale du court métrage. Comment a-t-il vécu le fait d’être filmé dans son quotidien, de le partager et de se raconter face à une caméra ? 

Ah… Cook, c’est une petite star (rires). Il aime être filmé, être le sujet de quelque chose. Aussi je le connais depuis assez longtemps, nous avons une vraie relation, on se dit facilement les choses. Les gens ont plus de facilités à s’ouvrir à moi car je ne vis pas à Marseille, donc ils ont moins de risques d’ébranler leur image là-bas. D’où l’importance d’un environnement propice : on a filmé des discussions dans une voiture et dans une chicha, le deuxième lieu a moins marché que le premier (rires).

Le cadre clos, plus intimiste, lui a permis d’aller plus loin dans la réflexion sans craindre le jugement. Il y a un vrai truc dans cette ville avec l’être et le paraître. Dans les quartiers nord, les garçons montrent cette image de non-sensibilité, il faut être courageux. A Kalliste, ils sont enfermés dans une image de « bandits » alors qu’ils ne le sont pas tous. Certains font des études. Mais il y a ce truc d’insensibilité, de stoïcisme, cette idée de tout prendre à la légère…

 

C’est le fait de t’avoir avec lui qui l’a aidé. 

Oui ! Dans la séquence dans la voiture, il s’adresse à une fille, on entend sa voix. C’est moi ! COOK, c’est notre histoire à tous les deux, c’est une discussion. Au départ je ne le voulais que lui mais j’ai compris que j’étais le lien entre ce monde et le film, donc on m’entend parler, on me croise. C’est ça aussi qui est beau, c’est un croisement de plein de réalités et chacun y voit ce qu’il veut (par exemple dans les plans sur l’enfant…). Chacun applique et regarde le film avec son prisme.

C’est vrai que le film partage un fragment de la vie de Cook, mais aussi les lieux de vie de toute une catégorie sociale, en dehors des clichés.

Nous avons tourné dans quatre lieux : Kalliste, la chicha, le studio de Cook et un magasin d’alimentation. On a beaucoup plus de matière filmique dans les autres mais Kalliste est beaucoup plus fort. C’est le lieu où il était le plus seul, où il a vécu petit, c’est en parallèle. Ça racontait une histoire en cinq minutes. J’avais une vraie volonté de montrer les quartiers nord, le lieu de vie de plein de personnes.

Par exemple, on voit dans le film un enfant de quatre ans qui joue seul avec des habitants en bas. Il y a de l’entraide, tout le monde veille sur tout le monde. Je voulais montrer la réalité, qui n’est pas que la violence et la drogue – loin de là, et individualiser le cliché plutôt que de le confirmer. Quand tu es dans le cliché, tu nies l’individu.

On m’a toujours demandé si ce n’était pas trop dangereux là-bas. Mais c’est la réalité de tous les jours de mes amis, ma réalité. Les quartiers sont éloignés de la ville, isolés, donc c’est beaucoup plus compliqué de se rendre compte de la vie des gens – alors que c’est du rire et du foot ! 

 

Comment s’est déroulé le tournage ? 

Il était bien organisé parce que je savais ce que j’avais besoin de voir. L’entente monteur-réalisateur est hyper importante dans ce genre de moment, il te faut quelqu’un qui comprend ta vision du projet. Mais entre le travail, la fac, la préparation du concours de la Fémis et ça, j’ai dû beaucoup gérer, donc c’était très fatigant.

 

Est-ce que tu as des petites anecdotes à nous partager ?

On a vécu plein de moments drôles ! Surtout l’interview avortée dans la chicha, où ça ne marchait pas du tout, Cook faisait la star… (rires). Niveau image, j’avais quelqu’un qui savait ce qu’il faisait. Mais au niveau du son, on a eu quelques soucis. On entendait le vent, mais aussi Cook qui ne faisait que jouer avec sa veste, il me rendait folle !

 

Comment as-tu vécu le festival et le passage de ton film sur un grand écran, devant un public ?

Le film a été projeté le deuxième jour et je travaillais sur un projet de publicité ce jour-là, donc je suis arrivée fatiguée. Je savais qu’il dénotait du reste, car il y avait beaucoup de courts métrages de fiction. C’est difficile de faire un documentaire en cinq minutes. Soit tu t’accroches au personnage, soit tu ne t’y accroches pas. Mais j’ai livré quelque chose qui me plaisait vraiment et qui était honnête, dans lequel je partage ma vision des choses.

Je n’ai pas eu le temps de stresser et de voir le reste du festival à cause du travail. COOK est passé en dernier. Toute l’équipe était là, ça m’a fait hyper plaisir. J’aurais bien aimé que mon ami soit là. Il était très content de passer sur un grand écran et moi j’étais contente de voir un morceau de ma vie. En seulement cinq minutes, je reste insatisfaite, mais j’étais étonnée, il y a eu beaucoup de réactions du public ! Des gens que je ne connaissais pas du tout m’ont félicité et envoyé des messages, c’était touchant.

 

Et tu as obtenu le prix de la mise en scène pour ton film, félicitations !

Je pense que beaucoup de choses doivent jouer. Nous avons accordé une attention particulière aux lieux et à la manière de filmer. Nous voulions que ce soit propre, vrai et objectif, sans enjoliver la réalité ou mal la représenter (en filmant des poubelles, des clichés…). On voulait filmer une globalité, c’est un vrai choix de mise en scène de filmer des gens.

 

Est-ce que tu comptes diffuser Cook en dehors du cadre du festival ? 

J’aimerais bien envoyer la version qui sera plus longue à des festivals. Je compte retravailler le montage du court métrage.

 

Et quels sont tes projets pour la suite ?

J’aimerais devenir productrice. J’aime travailler sur des projets et rencontrer des gens. Dans mon travail, en parallèle des études, je suis passée chargée de production.

 

Maintenant que tu as pleinement vécu l’expérience Objectif Censier, est-ce que tu as des conseils pour les futurs participants du festival ?

Il faut faire un projet qui te plaît vraiment. Tu vas mettre ton temps et ton énergie dedans pendant des mois, donc il faut le faire parce que tu en as vraiment envie. Il faut aussi s’entourer de gens avec qui vous vous comprenez, et ne pas avoir peur de faire des erreurs. On demande un film honnête, pas un film parfait ! Et ça se voit quand on ment. Un film est un objet qui évolue. Mon documentaire a beaucoup évolué par rapport à l’idée que j’avais en tête.

 

Tu as déjà beaucoup d’expériences et un parcours singulier, qui se détache de ce qu’on retrouve généralement en licence à la fac. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur cet aspect pratique ?

Les stages sont la clé pour rentrer dans le monde du cinéma. On recherche toujours des gens en difficulté. C’est important de faire un stage sur un tournage pour avoir conscience de la réalité de celui-ci. Il a des enjeux économiques et logistiques, plus que artistiques. Il faut pratiquer un maximum, faire des projets, rencontrer des gens… je suis une fervente défenseuse du culot ! maximum, faire des projets, rencontrer des gens… je suis une fervente défenseuse du culot !

 

Un entretien mené par Liza Griffiths.

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