Rencontre avec le groupe Vertige

Cette année, le thème du Festival Objectif Censier est Vertige. L’occasion rêvée de rencontrer le groupe de musique du même nom. Collaboration entre Jérôme Coudanne (du groupe Déportivo) et Robin Feix (de Louise Attaque), Vertige est un groupe de rock indé qui fait du bien aux oreilles. Leur premier album Populaire, d’abord retardé par la crise sanitaire, est sorti en septembre dernier. Des morceaux courts et efficaces qui flairent bon la rébellion et dont les paroles rappellent la verve de la scène française de la fin des années 1990 et du début des années 2000. Rencontre avec Jérôme pour qu’il nous parle, entre autres, de vertige créatif.

Votre groupe s’appelle Vertige, thème du Festival Objectif Censier de cette année. Pouvez-vous nous dire pourquoi ce nom ?
Un jour, j’ai envoyé un mail à Robin dans lequel j’expliquais que l’écriture des paroles me donnaient le vertige. Robin m’a répondu qu’il aimait bien ce mot, je lui ai alors proposé de nous appeler Vertige. 
Ce nom nous a semblé pertinent pour plusieurs raisons, d’abord parce que tout au long de la composition de ces chansons, nous avons été happés par une forme de vertige créatif, nous nous échangions des idées très rapidement, nous avancions sans freins, exaltés.
Ensuite, l’idée de vertige fait référence à l’ivresse des foules. J’habitais alors en Catalogne et je me suis mêlé à des manifestations. Je voulais comprendre et j’ai été témoin de ce sentiment d’exaltation que pouvait procurer une foule. Les gens paraissaient possédés, exaltés et l’émotion collective semblait prendre le pas sur toute forme de capacité de jugement personnel. La foule est un vertige collectif. 
Et puis, pour l’écriture des paroles, j’ai beaucoup pioché dans les commentaires des articles de presse, j’ai été inspiré par le traitement de l’information. Les trolls, aussi. Bref, notre nom a évidemment un lien avec le vertige de l’information, ça nous submerge tous.

Comment traduire le vertige en musique ? Quels titres cela vous évoque-t-il ?
Il y a plusieurs manières de traduire un vertige en musique : il peut être rythmique comme dans le drum n bass, la dance ou la house, mais il est aussi souvent lié à l’émotion que la chanson suscite chez l’auditeur et puis il peut être lié à un mantra répété par le chanteur comme dans Killing In The Name de Rage Against The Machine lorsque le chanteur répète « Fuck you, I won’t Do What you Tell Me », ah ah ah!

Vertige est un duo, quelles dualités travaillent votre musique ?
Je pense qu’il y a une forme de dualité tout au long de notre disque. D’abord dans son humeur, c’est presque géographique et climatique, on y ressent tout à la fois la pluie de Brighton où habite Robin et le soleil de Barcelone, où je vis. Et puis naturellement, il y a cette dualité entre Louise Attaque, qui est le groupe habituel de Robin et Déportivo qui est le mien. Et enfin, il y a la rencontre de nos goût musicaux, entre Joy Division pour lui et Manu Chao pour moi. La dualité est partout dans notre disque, on a basé l’idée de Vertige sur des compositions qui associent la basse de Robin à ma voix, deux éléments de base.

Votre album fait souvent référence à l’aliénation, à la révolte et à la place d’internet dans tout cela. Vertige de notre société de communication ?
Dans les paroles de notre album, la référence à l’aliénation évoque le sentiment de dépossession de soi, inhérent aux foules. Mais une foule n’est pas nécessairement dépendante d’un lieu ou d’un endroit précis, en ça, internet a permis la création de multitudes de foules, que l’on appelle plutôt des communautés. Le moyen le plus simple de susciter l’adhésion d’une foule à ses idées est d’axer sa communication sur les émotions, de ne rien expliquer et de répéter une ou deux idées simples autant de fois que possible, ceci mène inévitablement à une forme d’exaltation collective, un vertige. Gustave Lebon explique ça très bien dans Psychologie des foules. Dans le fond, une chanson pop fonctionne de la même manière. Alors bien sûr, de nos jours, il y a un vertige de la communication, dans le sens où on en est submergé. Mais je pense aussi que ce sentiment de vertige vient de la manière délibérée dont les politiciens, les journalistes ou encore publicitaires communiquent. De manière intentionnelle, ils jouent avec les émotions collectives et notamment la peur.

L’album, par sa sortie retardée, est travaillé par la crise du Coronavirus. Comment faire vivre un projet artistique dans ces conditions ?
Je ne me pose pas vraiment la question. Je compose des chansons parce que j’aime ça. La durée de vie de mes albums ne dépend pas vraiment de moi. En l’occurrence, le covid a évidemment compliqué les choses mais certains musiciens ont tout de même eu beaucoup de visibilité, malgré ça. Dans le fond, peu importe le contexte, je ne me voyais pas garder mes chansons sous le coude en attendant des jours meilleurs. Pour répondre à ta question, je pense que le meilleur moyen de faire vivre un album en temps de covid est de le sortir, quoiqu’il en soit. Les gens auront au moins la possibilité de l’écouter. 

Quel film le vertige vous évoque-t-il ?
Ça me fait instantanément penser à cet excellent documentaire que j’ai vu pendant que nous composions l’album et qui s’appelle Free Solo. Dans ce documentaire, on suit la préparation d’un grimpeur, les inquiétudes de son entourage face à son projet d’ascension d’une paroi quasiment impossible à franchir sans équipements de sécurité… ça fout littéralement le vertige.

Propos recueillis par Camille Périssé