Rencontre avec l'équipe d'Aquarium, Prix du Jury du Festival Objectif Censier 2021
Tous les ans à la Sorbonne Nouvelle se déroule le festival Objectif Censier, c’est l’occasion pour les étudiants de réaliser et de présenter des films à un jury constitué de professionnels du secteur audiovisuel. Dans quelques mois débutera la 14 édition du festival Objectif Censier, pour l’occasion nous avons réalisé une interview de l’équipe du film Aquarium, film vainqueur de l’édition précédente avec la mention prix du jury.
Vous êtes trois, pouvez-vous dire à nos lecteurs qui vous êtes et quel fut votre rôle au sein de l’équipe du film ?
Sarah Geroux : Nous sommes techniquement quatre, avec Timothée. Je suis Sarah Geroux, et je pense que nous avons tous travaillé équitablement sur les différents aspects du film. Je pense pour ma part avoir plus été penchée sur l’organisation (entre la structure, la communication avec l’association…), la rédaction (des questions à nos voix off, de la note d’intention et des idées en général), et les expérimentations visuelles du film.
Jennifer Ni : Je suis Jennifer Ni. J’ai travaillé surtout sur la conceptualisation du film, et la recherche de professionnels à interviewer pour nous aider à sa réalisation. J’ai également réalisé l’affiche du film, ainsi que les typographies du titre et du générique.
Matthieu “nature” : Moi c’est Matthieu mais j’utilise le pseudo « nature » quand je fais des films écolos, j’ai essentiellement été en post production (montage, étalonnage, montage son etc.) puis réalisé certaines expérimentations de peinture numérique et photographié l’affiche du film.
Est-ce que ce fut votre première expérience d’un festival de cinéma en tant que compétiteur ? Quels furent les moyens mis en place par l’association pour vous aider ?
Sarah : Oui, c’était la première. L’association nous a accompagnés dans tous nos questionnements à cause du et malgré le confinement, dans les étapes de créations avec des checks-up d’évolution réguliers et une rencontre avec un professionnel adapté à notre métrage, et j’ai suivi quelques ateliers en visio reliés au sujet notamment sur « diffuser son court métrage » qui étaient très intéressants pour le festival et pour notre poursuite professionnelle.
Jennifer : C’était en effet ma première expérience dans un festival de cinéma ! Nous avons reçu de la part de l’association un soutien non négligeable sous la forme de rencontres via zoom régulières. La plus notable aura été notre entretien avec un scénariste professionnel, qui a su nous conseiller sur la direction à prendre avec Aquarium.
Matthieu : Vers 16 ans, j’avais tenté le Nikon film festival pour rigoler. Ce fut un échec cuisant. Le festival Objectif Censier proposait effectivement plusieurs masterclass sur le scénario, la préparation d’un tournage, des ateliers pratiques pour apprendre les bases du montage ce qui est rarement le cas des festivals en général ainsi que la possibilité de tourner dans certains lieux en partenariat avec le festival comme le Muséum d’Histoire Naturelle ou le jardin des plantes.
Quelle expérience au niveau professionnel tirez-vous de ce festival ?
Sarah : Vu les conditions sanitaires ajoutées au festival, je dirais une grande habilitée d’improvisation. Mais par rapport au festival directement je pense que nous avons beaucoup appris sur ce médium de diffusion d’un film, et grâce à cela nous avons pu continuer à faire vivre notre film dans d’autres festivals par la suite (les Tropikantes pour l’instant, nous sommes en recherche de festivals à l’international).
Jennifer : Je pense que cette expérience a surtout permis de m’introduire au monde des festivals, qui jusque-là avait tendance à m’effrayer et m’intimider. J’ai aussi été ravie de pouvoir mettre à contribution mon intérêt poussé pour le dessin et le graphisme, que je pratique à l’origine en tant que simple loisir, afin de donner à Aquarium une identité visuelle qui s’étend au-delà du film lui-même.
Matthieu : Cette expérience de réalisation dans ces conditions si particulières n’a pas entravé ma passion pour l’expérimentation mais l’a plutôt alimenté. J’ai le sentiment que ces circonstances ont définitivement aiguisé ma créativité. Ce fut extrêmement ludique. Cela m’a surtout fait rapprocher du monde des festivals de cinéma en faisant la découverte du fabuleux site Filmfreeway.
Le thème de l’année dernière était “Vertige”, comment ce mot vous a-t-il inspiré pour faire Aquarium ? Quel aspect du thème avez-vous exploré ?
Sarah : Ah, facile. On est plutôt partis sur une idée du vertige en tant que déséquilibre face à une idée impressionnante (si ça a du sens…), ici le concept « vertigineux » de vouloir enfermer tout un océan au sein des villes. Nous voulions aussi faire des plans qui joueraient du vertige au sens un peu plus habituel avec des perspectives forcées dans un aquarium, mais le confinement est passé par là…
Jennifer : Pour moi, le vertige, c’est se sentir minuscule et insignifiant face à une immensité sur laquelle nous n’avons aucun contrôle. Bien sûr, c’est le vertige que l’on ressent lorsqu’on se tient en hauteur, mais le vertige peut aussi être ressenti dans les profondeurs. Et dans le cadre urbain, le seul moyen de retrouver ce vertige marin, c’est de mettre les pieds dans un aquarium. Du point de vue formel, et avant le confinement, nous avions prévu de profiter du tunnel à requins de l’aquarium de Paris pour retranscrire cette immensité qui nous perd et nous étourdit.
Matthieu : Le vertige s’invite peut-être en effet à quelques moments du film d’un point de vue formel à travers l’effet fisheye, l’image d’un poisson qui déambule dans la ville et le fait d’opérer des basculements du regard vers le ciel, la grandeur de la ville aux profondeurs de l’océan. Par exemple, au début du film, on voit ce poisson tout blanc, scintillant, complètement agité qui tente de s’extirper de cet environnement abyssal comme s’il était en chemin vers l’aquarium, puis arrivent brusquement des plans de villes, extraits de Koyaanisqatsi qu’on a picturalisé en mouvement avec beaucoup de couleurs.
Finalement Aquarium est sorti de cette compétition avec le prix du jury, est ce que vous vous attendiez à un tel retour pour votre film ?
Sarah : Pas vraiment ! Tous les autres films étaient très bien réalisés, très beaux et avec de bons sujets, et on était le seul qui ait tenté de l’expérimentation aussi radicale. C’est sans doute ce qui l’a démarqué, du coup, mais ça m’a surprise et fait très plaisir !
Jennifer : C’était une énorme surprise pour moi. Je ne pensais pas qu’un film aussi expérimental, à côté des autres films en lice, pouvait recevoir une telle récompense. Et j’en suis ravie !
Matthieu : Pareil ! C’était complètement inattendu pour ma part. J’étais très agréablement surpris de l’apprendre !
Le thème du festival pour la 14ème édition est “Bouche cousue”. Que vous évoque-t-il ? Quels conseils donneriez-vous aux étudiant.es réalisateur.ice.s ?
Sarah : Oooooh je sens un potentiel militant! Ça donne envie de travailler sur des sujets politiques bien actuels… Je pense que les meilleurs conseils sont d’être flexible dans son projet surtout en ce moment, et de suivre son instinct en tant que cinéaste.
Jennifer : Je vois dans le thème “Bouche cousue” beaucoup de pistes possibles, allant d’un thème très axé sur le militantisme et les inégalités sociales à un autre plus formel, du cinéma d’horreur par exemple. C’est peut-être un peu paradoxal, mais le thème me paraît extrêmement libre, et mon conseil serait donc de penser librement ! L’auto-censure est le pire ennemi de l’artiste. Le film que vous allez réaliser est le vôtre, c’est donc à vous qu’il doit plaire en premier lieu. N’hésitez pas à y mettre votre patte !
Matthieu : Ce thème m’évoque immédiatement les balbutiements du cinéma. Je pense à Zéro de conduite. Renouer une tension entre le bruit et le mutisme, la discrétion et l’exubérance. Ce thème laisse entrevoir une réponse, un contrechamp sous la forme d’une rébellion, d’un contrepoint par le bruit puisque les règles sont faites pour être transgressées. Je ne peux que conseiller de simplement essayer de sortir du lot de manière générale. Forgez-vous même votre propre acuité. Filmez, proposez des choses que l’on n’a jamais vu auparavant. Faites un film unique qui vous ressemble autant que possible par l’expérience que vous avez vécue.
Propos recueillis par Nina Destout & Toumany Traore