Film-Vertige : Captain Fantastic de Matt Ross

Film-Vertige
Captain Fantastic de Matt Ross

« Le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent provoquer des changements. » a dit le linguiste et philosophe Noam Chomsky. Dans Captain Fantastic, pour Leslie et Ben, le pouvoir en question c’est la société américaine et son obscurantisme abrutissant latent. Et c’est pour les en protéger qu’ils ont décidé de partir élever leurs six enfants au cœur de la nature, en inculquant une éducation radicalement opposée au consumérisme capitaliste qui les entoure. Mais lorsqu’un drame les pousse tous à plonger dans ce monde opposé en tout point au leur, les découvertes et les doutes qui s’en suivent viennent remettre en question le bien fondé de leurs choix de vie respectifs. 
 
Ne craignez ici aucune ode au survivalisme, pas plus qu’au scoutisme ! Le film se veut avant tout divertissant et invite simplement le spectateur à partager les questionnements philosophiques et sociaux de ses personnages dans un road-movie familial. Matt Ross, son réalisateur et scénariste, signe ici son second film après notamment huit courts métrages derrière lui, ainsi que diverses productions en tant qu’acteur. Sa carrière aura donné à Ross l’expérience de rassembler des actrices et des acteurs d’horizons aussi divers qu’harmonieux. En tête d’affiche nous pouvons notamment retrouver Viggo Mortensen  qui, investi au point de dormir sur les décors et de contribuer à la réécriture du scénario, y incarne le rôle de Ben le père de famille avec une justesse qui ne lui fait jamais défaut. L’investissement déployé par Mortensen, à l’instar du reste du casting, reflète la respectueuse et saine relation établie par Ross avec eux. Soucieux de garantir à son film une esthétique organique et empreinte de réalité, il choisira comme directeur de la photographie Stéphane Fontaine, multi récompensé aux César, et plus qu’enthousiasmé par le scénario de Ross. Il se dégage de la production du film une atmosphère intimiste et presque familiale, atmosphère recherchée par le réalisateur, qui se ressent jusque dans l’action du film, contribuant de fait grandement à l’authenticité des enjeux et des rapports humains.
Car il se dégage effectivement de ce film une profonde volonté de réalisme dans les sujets abordés, à commencer par celui du monopole de l’éducation, et des travers de celui-ci. Le personnage de Ben, qui assure lui-même l’éveil intellectuel de ses enfants par le biais d’ouvrages spécifiques et divers, est convaincu de les instruire plus efficacement que le système scolaire américain. Or il en devient ce « pouvoir » craignant le changement que Noam Chomsky évoquait au début de notre article. En parent il agit en autorité suprême, que ses enfants ne remettront en question qu’en découvrant combien malgré leurs savoirs ils sont inadaptés à la société dominante, à savoir celle qu’on leur a fait fuir. Et c’est ce constat qui nous amène, nous spectateurs, à transposer ces questionnements à nos vies. Si Ben ne s’opposera finalement plus au changement, respectant ses enfants dans leur volonté d’équilibrer leur mode de vie jusque-là si radical, nous offrant un doux happy-end, les interrogations qui taraudent le spectateur quant à sa propre socialisation et l’impact de celle-ci sur son identité résonnent longuement, contribuant à la vague d’émotions que provoque ce film. Ce dernier a toutefois la délicatesse de rendre son propos digeste, et loin d’être un film moralisateur, malgré un sujet de société abordé frontalement, il est d’une grande douceur, et tendresse dans sa manière de signifier la responsabilité parentale et la volonté qui va avec de faire au mieux malgré tous les aléas. Le concept de road-trip est en cela très bien employé (le classique du bus habitable ne manquera pas de faire rêver les plus baroudeuses et baroudeurs d’entre vous, promis.) parce que Ben est loin d’être invulnérable et doute autant que ses enfants durant ce voyage. Il oscille entre son deuil et son rôle de parent qu’il va devoir assurer dorénavant seul, et ce vertige se ressent dans la réalisation qui vient mettre en scène cette introspection quasi-onirique sans jamais déroger à cette identité réaliste qui la caractérise. 

Finalement, si Sidney Lumet estimait que les réalisateurs sont souvent meilleurs cinéastes que scénaristes, et que les scénaristes sont souvent meilleurs auteurs que réalisateurs, pour le cas de Matt Ross, un équilibre a été atteint. En acceptant l’apport volontaire et bénéfique de ses actrices et acteurs pour la fabrication de son histoire, et s’entourant de la bonne équipe technique pour matérialiser sa vision du long métrage, il nous aura offert un feel-good movie sans prétention aucune tandis que le risque planait à tout moment. 

Rédigé par Mattéo FERAGUS