Rencontre avec Matthias Steinle, responsable de l’atelier « Documenteur »

Rencontre avec Matthias Steinle,
responsable de l'atelier "Documenteur"

Chaque année, le festival Objectif Censier est orchestré autour de différents ateliers de réalisation portés par plusieurs enseignants de cinéma. Ces ateliers, tournés vers une consigne propre à chacun, permettent aux étudiants de réaliser ce qui est souvent leur premier court métrage. Aujourd’hui, rencontre avec Matthias Steinle, responsable de l’atelier “ Documenteur ” qui nous fait part de ses différentes réflexions et de son rapport avec Objectif Censier.
 
 
Vous êtes responsable de l’atelier « Documenteur ». Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?
Le documenteur – dans le reste du monde est utilisé le terme anglais mockumentary – est un film de forme documentaire avec un contenu fictionnel. Si le public peut se tromper et voir un documentaire au lieu d’une fiction, il faut quelque chose, un plus, pour qu’après la révélation de son vrai caractère, on ne reste pas sur la déception du faux (comme c’est le cas de documentaires frauduleux ou propagandistes ou encore des Fake News). Souvent, il s’agit d’inciter les spectateurs à réfléchir sur leur crédulité face aux formes documentaires et/ou de se moquer de la prétention du film documentaire à montrer le réel. C’est ce « plus » qui rend le documenteur particulièrement intéressant comme contrainte, car celle-ci oblige les réalisateurs à se poser des questions sur la fonction du « faux », la cible de la moquerie, du rapport avec le/la spectateur/trice, le réel et la fiction et l’opportunité de révéler la manœuvre ou pas. 
  

Selon vous, comment négocier les limites entre réalité et fiction dans un court-métrage ?
 C’est la question que pose justement le documenteur. Donc : en faisant des documenteurs/mockumentaries.
 

Pouvez-vous nous présenter les groupes de réalisation et les projets qui se sont formés cette année dans votre atelier ?
Comme le documenteur dépend du jeu avec le public, il vaut mieux ne pas trop révéler. Il y a cinq projets cette année dont tous ont fait le choix de la forme d’un « faux » reportage : 
– Cora Lledo et Naomi Houyez,  La répétition : lors de la répétition d’une jeune troupe de théâtre la metteuse en scène oblige les acteurs de lire des extraits de journaux intimes.
– Axel Guerre, Marine Mathieu, Hector : reportage sur Hector, un personnage atypique qui vit dans son imagination, qu’il projette dans son environnement.
– Pauline Colange, Aline Wehbi, Gallus Gallus : la bande annonce d’un reportage sur un jeu de réalité alternée étant allé trop loin et ayant de réelles conséquences à portée mondiale.
– Jonathan Chenchar, La Bretagne : la Bretagne ça le gagne. Un groupe d’amis parisiens s’inquiète du sort d’un copain resté confiné en Bretagne et décide d’aller le chercher.
– Ulysse Kistler, Le prestidigitateur : André un jeune homme obstiné à réussir dans l’industrie musicale déconnecte de plus en plus de la réalité en voulant imiter ses idoles.
 

Vous êtes co-fondateur d’Objectif Censier, et l’association existe depuis maintenant 13 ans. Pouvez-vous nous raconter l’origine et les débuts de l’association ? 
Le festival est né du contexte de la contestation de la LRU en 2009, dont nous subissons les conséquences néfastes ces dernières années avec la réduction de structures pérennes, l’augmentation de la précarité des jeunes chercheurs/chercheuses et une perte de qualité de la recherche en France. Nous sommes en train de vivre un triste sommet avec la LPR, une loi qui continue dans la voie du sous-financement et de la privatisation. 
L’année 2009-2010, l’université était donc bloquée et avec deux collègues, Sylvie Rollet et Ania Szczepanska, nous avons proposé aux étudiant.e.s de faire des films sur ce qui se passait, d’utiliser la caméra pour documenter la situation et réfléchir avec les moyens du cinéma. Nous nous sommes retrouvés avec une vingtaine de courts-métrages, tous faits avec le désir de s’exprimer et d’intervenir dans le réel. Nous nous sommes dit qu’il fallait les montrer et ainsi est née l’idée d’un festival. Il y avait tellement de monde que nous avons dû déménager dans le grand amphi. Grâce au succès, nous avons pu proposer des ateliers de réalisation pour la première fois dans le cadre des enseignements du département Cinéma et audiovisuel à Paris 3. Depuis, le festival Objectif Censier remplit chaque année l’amphi. 
 
 
Et pour finir, cette année, le thème du festival est celui du « Vertige ». Quel film, que vous aimeriez partager avec nous, cette notion vous inspire-t-elle ?
J’ai le vertige, alors c’est un thème qui m’effraie beaucoup, et je pense spontanément à mon premier « film d’horreur » : Monte là-dessus ! (Safety Last!, 1923), dans lequel Harold Lloyd est suspendu à une horloge au 10e étage d’un immeuble. La scène est interminable, et si l’effet spécial est très simple, c’est tellement bien fait que j’ai toujours du mal à la regarder.
 
 

Propos recueillis par Mattéo Feragus