Je veux juste en finir de Charlie Kaufman

Film vertige
Je veux juste en finir de Charlie Kaufman

« I’m thinking of ending things… » Si c’est une étrange phrase pour débuter une idylle, elle l’est encore plus pour introduire un film ! Mais rien ne nous surprend jamais trop chez Charlie Kaufman, le scénariste qui nous fait nous arracher les cheveux et qui passe aujourd’hui pour la troisième fois derrière la caméra.

Avec un enchaînement de gros plans sur des papiers peints à fleurs qui offrent pour seul horizon l’obsession de leurs motifs, la scène d’ouverture promet des débuts contradictoires pour ce film autant que pour l’histoire d’amour qu’il dépeint. Car la jeune femme qui accompagne Jake chez ses parents par une journée enneigée ne semble pas tout à fait convaincue par la romance qu’ils entretiennent. Après un trajet en voiture qui a de quoi refroidir la plus réchauffée des amantes, notre héroïne n’est pas au bout de ses surprises.

Rien ne se passe réellement comme prévu lors de ce rite de passage qu’est la présentation de l’être aimé aux parents. Avec la voiture comme seul lieu d’intimité, on comprend pourtant rapidement que ce road movie n’en a qu’une lointaine apparence. Une durée qui se distord, un paysage qu’on ne voit pas, des repères qu’on perd et des bavardages métaphysiques… le spectateur est autant soulagé que les personnages lorsqu’ils arrivent à bon port. Mais ce n’est qu’un court répit. La machine spatio-temporelle se grippe définitivement lors du repas familial. De retrouvailles embarrassantes la situation se mue en véritable chronique de la dégénérescence, du temps qui passe et des regrets qui l’accompagnent. Seule la jeune femme semble spectatrice de ces saynètes tragiques et au fil de ses déambulations dans la maison, on découvre différentes strates d’espace et de temps liées entre elles de façon étrange et paradoxale.

Charlie Kaufman, scénariste d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Dans la peau de John Malkovitch ou encore d’Adaptation est coutumier des formes bizarroïdes et des figures de styles vertigineuses. Après la mise en abyme du génial Synecdoche New York, l’animation du touchant Anomalisa, Kaufman réalisateur nous embarque encore une fois dans un voyage cinématographique aux frontières des genres. À la lisière du film bavard marqué par la cinéphilie « côte Est américaine », il nous rattrape par des ficelles de film d’horreur, plante un décor de teen movie déserté et nous offre même un détour vers la comédie musicale avec une chorégraphie inspirée des meilleurs films de Powell et Pressburger. Et tout le film de Charlie Kaufman peut être lu à l’image de sa dernière scène : le cinéma est théâtre d’illusions et pourtant, c’est l’art qui permet de retranscrire au mieux toute la complexité des sentiments humains. 

Rédigé par Camille Périssé